Dans une nouvelle lettre ouverte demandant la fin de quinze années d’injustice manifeste dans l’affaire du citoyen canadien Hassan Diab, plus de 130 membres de la communauté juridique canadienne, dont des professeurs de droit, des juges à la retraite, des avocats pratiquants et à la retraite, ainsi que des chercheurs juridiques de tout le pays, ont appelé le Premier ministre Trudeau à refuser la deuxième demande du gouvernement français d’extrader le Dr Diab vers la France.
La lettre rappelle au Premier ministre ses déclarations en 2018, après le retour d’Hassan Diab au Canada suite à son extradition précédente. Le Dr Diab avait été détenu dans une prison de haute sécurité à Paris pendant plus de trois ans, presque entièrement en isolement, et il n’a jamais été officiellement inculpé ni traduit en justice. Il fut relaché après que les juges d’instruction français ait trouvé des preuves solides qu’il était en fait au Liban au moment du crime pour lequel il avait été extradé. Le Premier ministre Trudeau a déclaré que ce qui lui était arrivé “n’aurait jamais dû se produire” et que des mesures seraient prises pour “s’assurer que cela ne se reproduise plus”.
En avril dernier, un tribunal français a déclaré coupable le Dr Diab suite à un procès inéquitable. Il existe une forte pression politique en France pour qu’une personne, apparemment n’importe qui, soit condamnée; il semble qu’une condamnation était inévitable, malgré l’absence de preuve concrète. Selon les soussignés, cela ne peut être toléré.
Consultez la communiqué de presse ici; la lettre ouverte est ci-dessous.
8 juin 2023
Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député
Premier ministre du Canada
80, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A2
Monsieur le Premier ministre,
Comme vous le savez, de nombreux Canadiens sont alarmés depuis des années par le cauchemar que vit le Dr Hassan Diab, injustement accusé et désormais condamné à tort pour un attentat terroriste survenu à Paris en 1980. En 2014, le Dr Diab a été extradé vers la France sur la base de preuves graphologiques que même le juge de la Cour supérieure de l’Ontario qui l’a engagé a jugées “confuses, très déroutantes et avec des conclusions suspectes“.
Le Dr Diab a ensuite été soumis à l’isolement cellulaire pendant plus de trois ans, avant d’être libéré après près de trois années d’enquête approfondie menée par deux juges d’instruction français parmi les plus expérimentés (Jean-Marc Herbaut et Richard Foltzer), qui ont conclu sans équivoque qu’il n’existait aucune preuve justifiant de renvoyer le Dr Diab devant un tribunal (“Attendu qu’il n’existe dès lors pas de charges suffisantes contre Hassan Naim DIAB […] Ordonnons en conséquence la mise en liberté immédiate de Hassan Naim DIAB” (Jean-Marc HERBAUT et Richard FOLTZER : Ordonnance de non-lieu, p. 72 (le 12 janvier 2018)).
Cinq années se sont écoulées et la situation du Dr Diab est devenue encore plus choquante. Incroyablement, en avril de cette année, la Cour d’assises spéciale française a poursuivi en justice le Dr Diab, par contumace, et il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Un mandat d’arrêt a également été émis (“CONDAMNE, à la majorité, Hassan DIAB à la peine de la réclusion criminelle à perpétuité ; DÉCERNE mandat d’arrêt à l’encontre de Hassan DIAB.” (Cour d’assises de Paris, Arrêt criminel, n° 21/0073, du 21 avril 2023)). Cela s’est produit malgré la reconnaissance antérieure claire par les procureurs et les tribunaux français que la principale preuve censée prouver sa culpabilité – une analyse graphologique – était méthodologiquement erronée et ne constituait pas une preuve valable. Pourtant, cette même preuve a été admise lors du procès, ainsi que des renseignements non sourcés dont l’origine n’a pas pu être retracée par l’accusation.
De plus, selon des rapports des médias français et des communications personnelles de partisans du Dr Diab présents lors du procès, le tribunal a ignoré toutes les preuves disculpatoires, y compris des preuves indiquant qu’il se trouvait au Liban lorsque l’auteur de l’attentat était à Paris pendant au moins 12 jours consécutifs du 22 septembre au 3 octobre 1980. Le tribunal a également rejeté les conclusions des juges d’instruction selon lesquelles il n’y avait aucun élément valable permettant une condamnation. Des journalistes qui n’étaient pas témoins des événements pertinents ont été appelés à donner leur avis “expert” sur la culpabilité lors du procès. Incroyablement, il n’y a aucun compte rendu écrit ni enregistrement des débats du tribunal.
Pour être clair, la seule nouvelle preuve présentée lors du procès montrait clairement l’innocence – des empreintes digitales retrouvées sur la carte d’hôtel et la déclaration de police de l’auteur de l’attentat qui excluaient la présence du Dr Diab, ainsi que des preuves indiquant qu’il se trouvait au Liban lorsque l’auteur de l’attentat était à Paris. Les observateurs du procès ont noté que le juge en chef était peu intéressé par les éléments de défense.
Le verdict a été rendu par une majorité des cinq juges, ce qui signifie qu’un ou peut-être deux juges étaient opposés au verdict de “coupable”. Il n’y a pas de système de jury disponible dans le tribunal antiterroriste français et, après un verdict par contumace, il n’y a aucun droit d’appel. [Code de procédure pénale, Article 698-6 (Modifié par LOI n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, art.15(V))].
Sans surprise, et comme indiqué, une condamnation a été prononcée et un mandat d’arrêt a été émis. Le 27 avril 2023, le sénateur Marc Gold, le représentant du gouvernement au Sénat, a déclaré publiquement que la France avait demandé l’extradition du Dr Diab. Il existe une forte pression politique en France pour qu’une personne, apparemment n’importe qui, soit condamnée pour ce terrible crime ; il semble qu’une condamnation était inévitable, malgré l’absence de preuve concrète. Selon les soussignés, cela ne peut être toléré.
Monsieur le Premier ministre, dans sa décision concernant l’extradition initiale du Dr Diab (France c. Diab, 2014 ONCA 374), la Cour d’appel de l’Ontario a statué que l’extradition serait conforme à la Charte pour deux raisons importantes : la France était prête pour le procès, donc le Dr Diab ne “végéterait pas en prison” ; et il n’y avait aucun “risque réel” que des preuves obtenues par la torture (via des sources de renseignement) soient utilisées contre lui. Ces deux conditions se sont maintenant réalisées. Le Dr Diab a en effet végété en prison avant que l’affaire ne s’effondre, et les preuves de renseignement présentées lors du procès ont été admises malgré la reconnaissance de l’accusation qu’il était impossible de connaître leur origine, soulevant ainsi une véritable préoccupation, voire une probabilité claire, qu’elles aient été obtenues par la torture.
Nous reconnaissons que la France est un partenaire de traité de longue date du Canada, mais dans ce cas, à presque chaque tournant, les actions du gouvernement français ont été de mauvaise foi. L’injustice manifeste du procès du Dr Diab soulève la préoccupation que la France soit en violation de ses obligations en matière de procès équitable en vertu de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada et la France sont tous deux parties. Cela soulève en outre la perspective que si le Canada extradait le Dr Diab, il serait également en violation du Pacte en extradant une personne devant un processus pénal manifestement injuste.
Monsieur le Premier ministre, lorsque le Dr Diab est revenu de France en 2018, vous avez déclaré que ce qui lui était arrivé “n’aurait jamais dû se produire” et que des efforts seraient déployés pour s’assurer que cela ne se reproduise pas. Nous vous demandons respectueusement de tenir votre promesse. Comme l’a déclaré Amnesty International en mars 2023, “la justice ne consiste pas à poursuivre un homme à l’encontre duquel les systèmes judiciaires canadien et français ont déjà conclu qu’il n’y avait pas de preuves crédibles”.
L’extradition est un outil important dans la lutte contre la criminalité transnationale, mais elle ne doit pas et ne peut pas être utilisée comme un instrument de persécution et de bouc émissaire. La demande de la France d’extrader le Dr Diab doit être refusée.
Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre respectueuse considération.
Robert J. Currie, K.C.
Professeur de droit, Faculté de droit Schulich, Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse
Alex Neve, O.C.
Avocat et conseiller juridique, Professeur adjoint de droit international des droits de l’homme, Ottawa, Ontario