Nouvelles de la CSILC

Le gouvernement libéral doit prioriser des mesures fortes et sans équivoque pour protéger les libertés civiles et les droits de la personne en ces temps tourmentés

Traduit par Claire Lapointe. Réviser par Xan Dagenais.

15 mai 2025, OTTAWA – Alors que le nouveau gouvernement libéral s’efforce de définir ses priorités et que les député.es se préparent à retourner à Ottawa, le Canada fait face à un monde tourmenté où les droits fondamentaux sont érodés, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Pour protéger ces droits et s’assurer qu’ils ne se transforment pas en promesses vides, le gouvernement doit prioriser des mesures fortes, concrètes et sans équivoque, prévient la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) dans une lettre ouverte adressée au premier ministre Mark Carney.

« Au cours des derniers mois, et surtout pendant la campagne électorale, tous les partis ont affirmé qu’ils protégeraient la sécurité nationale du pays. Il va de soi que tous les habitant.es du Canada et du monde entier méritent de vivre en sécurité », a déclaré Tim McSorley, coordonnateur national de la CSILC. « Cependant, il ne faut pas que cette sécurité se fasse au détriment des droits de la personne et des libertés civiles. Au contraire, nos droits et libertés sont le fondement même de la garantie de notre sécurité à tous et toutes. »

La lettre complète, en ligne ici (en anglais seulement), détaille les mesures nécessaires et exhorte le gouvernement à agir. En voici un résumé :

Mettre fin à la surveillance étrangère et restreindre l’échange d’information avec les agences étrangères de sécurité nationale. Le gouvernement doit notamment mettre fin à l’application de la Secure Flight List (liste d’interdiction de vol) des États-Unis et autres listes de surveillance étasuniennes pour les vols intérieurs canadiens et internationaux non étasuniens. Il doit aussi mettre fin aux négociations sur l’accord Canada-États-Unis basé sur le CLOUD Act (loi sur le nuage informatique). Cette loi permettrait aux forces de l’ordre étasuniennes d’espionner les personnes au Canada et d’accéder à l’information détenue par des entreprises d’ici, et ce, sans mandat ni supervision des tribunaux canadiens.

Protéger la vie privée, mettre fin à la surveillance de masse et réglementer les technologies dangereuses, y compris la mise à jour des lois et politiques pour contrer la surveillance gouvernementale, comme la reconnaissance faciale et le balayage de données en ligne, les tentatives d’affaiblissement du chiffrement et pour réglementer l’intelligence artificielle (notamment à des fins de sécurité nationale).

Protéger les droits à la frontière, y compris annuler l’Entente sur les tiers pays sûrs, rediriger le milliard de dollars prévu pour la sécurité frontalière vers des ressources répondant plutôt aux besoins réels des Canadien.nes, et accélérer la création du nouvel organisme d’examen et de traitement des plaintes de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

Mettre fin à la complicité du Canada en matière de détention indéfinie, d’extradition injustifiée et de torture, y compris le règlement des cas d’Abousfian Abdelrazik, Mohamed Harkat et Hassan Diab, et le rapatriement des citoyen.nes canadien.nes et leur famille détenu.es dans des camps et des prisons au nord-est de la Syrie.

Protéger la liberté d’expression et d’association, la dissidence et les manifestations, à l’échelle internationale ainsi que nationale, en modifiant les lois canadiennes sur la « sécurité nationale », qui sont vagues et trop générales, et en s’abstenant d’introduire de nouvelles lois anti-protestation, comme des lois sur les « zones bulles » à l’échelle fédérale.

Renforcer l’imputabilité, la transparence et le respect des procédures, en veillant notamment à ce que toute révision de la sécurité nationale soit transparente et implique pleinement la société civile et les communautés concernées, en augmentant le financement des organes d’examen, en abrogeant les modifications apportées à la Loi sur la preuve au Canada et en réduisant les restrictions imposées à la défense en matière d’accès aux preuves et autres renseignements dans les affaires de terrorisme.

Mettre fin à l’utilisation de listes de surveillance secrètes et politisées qui portent atteinte aux droits, y compris la liste des entités terroristes et la liste d’interdiction de vol.

Défendre les droits dans le contexte de la lutte contre le terrorisme à l’échelle internationale, notamment en adoptant une position ferme contre les États qui utilisent l’étiquette de ‘terrorisme’ pour justifier les violations des droits de la personne, en particulier en ce qui concerne le génocide en cours à Gaza et les violences commises dans toute la région par Israël.

Il est essentiel de rappeler que l’appareil de sécurité nationale du Canada a servi à maintes reprises à violer les droits de Canadiennes et de Canadiens : complicité de torture et de détention de Canadiens à l’étranger comme Maher Arar, Abdullah Almalki, Ahmed El Maati et Muayyed Nureddin, collecte illégale de données privées et surveillance d’activités en ligne, espionnage, harcèlement et arrestation de journalistes, de défenseur.es des terres autochtones et de manifestant.es antigénocide, démantèlement violent de camps et utilisation de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale sans autorisation ni supervision.

« Le premier ministre Carney a décrit son parti comme ‘le parti de la Charte’ et s’est récemment engagé, notamment lors d’une conversation avec le secrétaire général de l’ONU, à protéger les droits de la personne. Nous exhortons le premier ministre et le gouvernement à le démontrer par des mesures audacieuses et immédiates », a déclaré M. McSorley.

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À propos de la CSILC :

La CSILC est une coalition nationale d’organisations de la société civile canadienne qui a été créée à la suite de l’adoption précipitée de la Loi antiterroriste de 2001. La coalition réunit 44 ONG, syndicats, associations professionnelles, groupes confessionnels, organisations environnementales, défenseur.es des droits de la personne et des libertés civiles, ainsi que des groupes représentant les communautés immigrantes et réfugiées au Canada. Notre mandat est de défendre les libertés civiles et les droits de la personne dans le contexte de la soi-disant ‘guerre contre le terrorisme’.

Plus d’informations :

Tim McSorley, coordonnateur national, CSILC

(613) 241-5298

nationalcoordination@iclmg.ca

Puisque vous êtes ici…

… nous avons une faveur à vous demander. À la CSILC, nous travaillons sans relâche afin de protéger et promouvoir les droits humains et les libertés civiles dans le contexte de la soi-disant “guerre au terrorisme” au Canada. Nous ne recevons aucune aide financière des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral, ni d’aucun parti politique.Vous pouvez devenir notre mécène sur Patreon et recevoir des récompenses en échange de votre soutien. Vous pouvez donner aussi peu que 1$ par mois (c’est seulement 12$ par année!) et vous pouvez vous désabonner en tout temps. Tout don nous aidera à poursuivre notre travail.support-usVous pouvez également faire un don unique ou donner mensuellement par Paypal en cliquant sur le bouton ci-dessous. Vous hésitez à donner? Consulter la page sur nos nombreuses Réalisations et Acquis depuis 2002. Merci de votre générosité!

Le Canada doit se dissocier du régime de sécurité nationale des États-Unis et protéger les droits, les libertés et les personnes vulnérables

Le texte ci-dessous est une version écourtée du texte original anglais traduit par Dominique Peschard et Martine Éloy.

Lors de la présente campagne électorale, la question des tarifs et les menaces d’annexion de la part de Donald Trump et, encore plus important, le choix de la riposte du Canada, sont au cœur des débats.

Nous ne devons pas permettre que les prétextes avancés pour ces tarifs et ces menaces – soit la prétendue nécessitée de protéger la frontière nord, sur la base de craintes exagérées et de purs mensonges sur la contrebande de stupéfiants et la migration irrégulière, soient passer sous silence. Et nous devons contester les mesures d’urgences qui ont été mises en place pour y répondre.

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) a été formée dans la foulée de l’adoption précipitée de la Loi antiterroriste de 2001 et du déferlement de mesures de sécurité et de surveillance, du profilage racial et des violations des libertés qui ont suivi. Nous disons sans détour : cela a un air de déjà-vu et nous devons nous opposer au réflexe d’augmenter les mesures de sécurité et de d’intégrer encore plus profondément le Canada dans l’appareil sécuritaire des États-Unis. Nous ne serons pas protégé-es des menaces de Trump en sapant encore plus nos droits et libertés.

L’appareil de sécurité du Canada a systématiquement exploité nos peurs pour obtenir plus de pouvoirs et de ressources, ce qui a entrainé une explosion des pouvoirs de surveillance, la militarisation des frontières, la criminalisation de la dissidence et l’érosion de l’état de droit.

Dans le nouveau Plan frontalier du Canada, les migrant-es et les demandeur-es d’asile servent de boucs émissaires, et leur quête de protection et d’une vie meilleure est assimilée à la criminalité. L’approche sécuritaire du Canada occulte le fait que les migrations irrégulières et la contrebande de stupéfiants sont des questions de droits humains et de santé publique qui devraient être traitées comme telles à travers des programmes sociaux, et non au moyen de gardes frontaliers, d’espion-nes et d’hélicoptères Blackhawk.

Les mesures proposées par le gouvernement fédéral ne font qu’enchevêtrer davantage le Canada dans l’appareil sécuritaire des États-Unis à un moment où cela est plus dangereux que jamais.

Nous demandons au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour dissocier la sécurité nationale du Canada de l’autoritarisme en cours aux États-Unis et de mettre en place des mesures pour protéger les droits des personnes au Canada. Ceci implique de :

  • Reconsidérer et restreindre les accords de partage de renseignements avec les États-Unis et d’autres agences de sécurité nationale étrangères, notamment les Five Eyes.
  • Mettre fin aux négociations entourant le Canada-US CLOUD Act qui permettrait aux autorités policières des É-U d’émettre des demandes de données et de surveillance, directement à des entreprises au Canada, sans mandat et sans supervision judiciaire canadienne.
  • Mettre fin à l’entente sur les tiers pays sûrs. On ne peut pas participer au refoulement aux É-U de personnes cherchant l’asile, sachant qu’elles font face à des procédures injustes, des violations de droits, des détentions abusives et probablement des déportations sans recours.
  • Réallouer les milliards prévus pour la sécurité frontalière afin de répondre aux véritables besoins des Canadien-nes.
  • Réviser les politiques canadiennes afin d’être protégé-es contre la surveillance étatique et contre les tentatives d’affaiblir le chiffrement, et afin de réglementer l’intelligence artificielle.
  • Résister aux pressions visant à étendre le recours aux mesures antiterroristes. Cela inclut l’ajout récent d’organisations criminelles à la liste des entités terroristes discrétionnaire, politisée et violant la procédure régulière; ce qui élargit également de manière problématique la définition du terrorisme.
  • Protéger la liberté d’expression et le droit à la dissidence, y inclus en dénonçant la répression au sud de la frontière et en corrigeant les lois canadiennes sur la « sécurité nationale » dont la portée démesurée permet la surveillance, le partage d’information, et les arrestations simplement pour avoir posé des gestes relevant de la liberté d’expression.
  • Mettre rapidement sur pied le nouvel organe d’examen indépendant pour l’Agence des services frontaliers (ASF) et la GRC.

Compte tenu du nouveau contexte international, le gouvernement fédéral à venir devrait tenir une consultation publique sur ce que devrait être la politique de sécurité nationale du Canada.

La présidence de Trump est un avertissement retentissant des dangers que comportent un système policier et de sécurité nationale doté d’immenses pouvoirs. On ne sait jamais dans quelles mains il pourrait tomber.

Cela étant dit, nous ne devons pas laisser notre voisin hostile nous faire oublier les abus de pouvoir dans notre propre pays. L’appareil de sécurité du Canada a été utilisé à plusieurs reprises pour violer les droits des Canadien-nes. Cela va de la complicité dans la détention et la torture de Canadiens à l’étranger à la collecte illégale de données personnelles et la surveillance d’activités en ligne, au harcèlement et à l’arrestation de journalistes, de défenseur-es autochtones de la Terre et d’opposant-es au génocide, ainsi que l’utilisation de la reconnaissance faciale sans autorisation et sans contrôle.

Le temps est venu de tracer notre propre voie fondée sur les droits humains et les libertés civiles, en protégeant les personnes vulnérables et en investissant dans les programmes sociaux qui produisent une véritable sécurité humaine.

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Lutter contre l’ingérence sans bafouer les droits

Crédit : André Querry

Écrit par Tim McSorley, Coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Traduit par Barbara Ulrich, traductrice

Originellement publié dans le numéro de décember 2024 “Imaginer une ville des droits humains” de la revue Droits et libertés de La Ligue des droits et libertés. Abonnez-vous ou procurez-vous un exemplaire ici.


Des inquiétudes entourant l’ingérence étrangère continuent à faire les manchettes au Québec et à travers le Canada, suscitant l’examen approfondi, la controverse et les appels à agir aussi rapidement que possible afin de remédier à ce que les agences nationales de sécurité ont nommé de façon hyperbolique une menace existentielle pour le Canada.

Il y a de toute évidence des incidences d’ingérence étrangère qui soulèvent des préoccupations urgentes. À titre d’exemple, les révélations que les membres de la communauté Sikh au Canada ont été des cibles d’harcèlement, de violence et même de meurtre par des agent-e-s du gouvernement indien et d’autres menaces transnationales de répression envers des activistes de droits de la personne et leurs familles au Canada.

Cependant, ce débat a été trop caractérisé par la xénophobie, le racisme, la partisanerie politique, la surenchère ainsi que la précipitation à promulguer de nouvelles lois sévères étendues. Certaines de ces lois auront non seulement des retombées significatives sur les droits humains au Canada, y compris la liberté d’expression et d’association, mais également sur la contestation et la dissidence, la coopération et la solidarité internationale, la liberté académique et la liberté de presse.

Ceci est dû en grande partie à des renseignements secrets divulgués par des sources anonymes dont l’exactitude et la source soulèvent des questions de crédibilité. Une partie de ceux-ci a été examinée par l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, mais, puisque le rapport final tarde à se faire connaître, la crédibilité de ces fuites reste entière.

Des droits bafoués, encore une fois

Malgré ces questions restées en suspens, la réponse du gouvernement a été presque exclusivement axée sur l’octroi de nouveaux pouvoirs aux agences de sécurité nationales et dans la création de nouvelles infractions importantes, lesquelles entraîneront une réaction excessive et une hypersécurisation. Notre travail, depuis 2022, sur les incidences des lois sur la sécurité nationale et les luttes contre le terrorisme adoptées, témoigne de l’importance des définitions précises, des décisions basées sur des données probantes et des réponses qui sont nécessaires et proportionnelles.

Faire défaut d’adhérer à ces principes mine inévitablement les droits humains aussi bien que l’engagement et la participation démocratique. Ceci aura pour conséquence la marginalisation d’une diversité de communautés et d’organismes, notamment ceux des populations racisées, autochtones ou immigrantes et celles et ceux qui sont engagés dans la contestation, la dissidence et la remise en question du statu quo.

Loi adoptée à toute vitesse

L’exemple le plus flagrant est l’adoption précipitée de la Loi C-70 — la Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère — au mois de juin 2024, qui a entériné des changements aux systèmes canadiens de justice criminelle et de sécurité nationale.

Une loi d’une telle envergure aurait requis un examen approfondi. Cependant, dans la précipitation de légiférer sur les questions de l’ingérence étrangère aussi rapidement que possible, le projet de loi a été adopté par l’ensemble du processus législatif en moins de deux mois, presque du jamais vu.

À cause de la brièveté surprenante consacrée à la période d’étude, plusieurs aspects de cette législation n’ont pas été soumis à un examen et, par conséquent, des champs de préoccupation n’ont pas été pris en considération. Moins de temps voulait dire que les expert-e-s et les organismes ayant des ressources limitées ont dû précipiter leur analyse du projet de loi, rendant la soumission de mémoires et d’amendements appropriés presque impossible. Même lorsque les parlementaires et les sénateurs et sénatrices ont reconnu certaines préoccupations, le refrain était que l’étude du projet de loi ne pouvait pas être retardée afin d’adopter les nouvelles règles avant une prochaine élection potentielle, ce qui pourrait arriver à tout moment sous un gouvernement minoritaire.

Pouvoirs sans lien avec l’ingérence

À titre d’exemple, la Loi C-70 a changé la Loi sur le Service canadien du rensei­ gnement de sécurité (Loi sur le SCRS) en créant de nouveaux mandats plus facilement accessibles pour des perquisitions ponctuelles et la collecte secrète de renseignements à l’extérieur du Canada. Ces nouveaux pouvoirs doivent être approuvés par les tribunaux, mais ceci se passe à huis clos. Cela constitue une victoire pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui, depuis des années, contrevient aux lois existantes régissant les mandats, notamment en dupant les tribunaux. Des seuils élevés pour l’obtention des mandats secrets sont l’une des principales façons dont nos droits garantis par la Charte des droits et libertés sont protégés ; le projet de loi C-70 les a affaiblis.

Ceci n’est qu’un des multiples changements inscrits dans la Loi sur le SCRS, lesquels ne sont reliés qu’en partie à la lutte contre l’ingérence étrangère et pourront, en réalité, s’appliquer désormais à toute démarche de collecte de renseignements ou d’enquête qu’entreprend le SCRS.

Des défenseur-e-s des droits humains, des organismes de développement international et de solidarité, des politicien-ne-s, des académiques, des syndicalistes, des activistes environnementaux, des défenseur-e-s des terres autochtones, des journalistes et beaucoup d’autres parties prenantes au Canada travaillent directement avec des contreparties internationales au jour le jour. Un grand nombre de ces collègues internationaux peuvent travailler pour ou représenter des gouvernements, des entreprises d’État ou des entreprises affiliées, des fondations, des institutions académiques ou des médias, ou travaillent pour des organismes multilatéraux composés de gouvernements étrangers. Ces partenariats internationaux sont incontournables, aidant à proposer de nouvelles perspectives, faisant des avancés en recherche et en politiques, partageant le travail de Canadien-ne-s à l’international et en aidant à bâtir la coopération et la solidarité internationale.

Des impacts négatifs sur les droits

Cependant, dans sa réponse aux allégations d’ingérence étrangère, le gouvernement fédéral a introduit des règles qui auront presque certainement un effet négatif sur la liberté d’association avec des collègues internationaux, la liberté d’expression et la capacité des Canadien-ne-s de manifester et de contester.

La Loi C-70 a introduit des changements significatifs à la Loi sur la sécurité de l’information, qu’on appelle maintenant la Loi sur les ingérences étrangères et la sécurité de l’information1 (FISI). Il est alarmant de constater que la FISI prévoit des peines beaucoup plus sévères — jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité — pour les infractions déjà prévues dans le Code criminel, notamment le harcèlement et l’intimidation, si elles sont commises sur l’ordre d’une entité étrangère, ou en collaboration ou pour son profit, ou, dans certains cas, avec un groupe terroriste2.

Un autre article troublant de la FISI se lit comme suit :

20.4 (1) Commet un acte criminel quiconque, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, a une conduite subreptice ou trompeuse en vue d’influencer un processus politique ou gouvernemental, la gouvernance scolaire, l’exercice d’un devoir en lien avec un tel processus ou une telle gouvernance ou l’exercice d’un droit démocratique au Canada.

Pour des définitions claires

Le problème, ici, n’est pas qu’elle vise à protéger les processus démocratiques, mais plutôt la façon dont elle tente de le faire. L’exemple le plus flagrant est le terme, « en collaboration avec », un terme vague qui n’est pas défini dans la législation. Il peut facilement vouloir dire, par exemple, qu’une personne qui collabore avec un individu ou un organisme qui travaille pour ou étroitement avec une entité étrangère (y compris non seulement des gouvernements, mais aussi des organismes indépendants financés par le gouvernement, ou même des organismes multilatéraux) sur des questions d’intérêt mutuel et, par la suite, lesquels s’impliquent pour changer une politique pourrait être vue en violation de la loi même si aucune influence véritable n’a été exercée par une entité étrangère. Le gouvernement dit également que de telles activités d’influence seraient illégales uniquement si clandestines. Mais, si vous n’agissez pas sous l’influence d’une entité étrangère, vous pourriez facilement croire que ce n’est pas nécessaire de divulguer votre association publiquement — donnant lieu à une violation possible de cette loi.

La définition de ce qui constitue un processus politique, la gouvernance scolaire et l’exercice d’un droit démocratique est également très vague. Même si le but de cette nouvelle loi est louable, sa formulation peut être une menace de graves répercussions à la liberté d’expression, protestation et manifestation.

Par exemple, prenons les campements universitaires en solidarité avec les Palestinien-ne-s et contre le génocide israélien à Gaza. Une de leurs revendications principales demandait aux administrations universitaires, lesquelles sont des institutions de gouvernance scolaire — de désinvestir  des  manufacturiers d’armements qui fournissent l’armée israélienne. Il s’agit de toute évidence d’une demande légitime visant à influencer une politique universitaire ; plus spécifiquement, il pourrait y avoir des appels au retrait de certains membres de conseil d’administration ou pour des étudiant-e-s à faire campagne auprès des associations étudiantes sur cette question. Cependant, il y avait des allégations non-fondées et fallacieuses que ces campements et ces campagnes étaient soit financés, soit coordonnés avec des gouvernements étrangers. Sous la Loi C-70, les forces de police et les agences de renseignement canadiennes seraient alors justifiées d’enquêter sur ces activistes, et, s’ils découvrent qu’une association dans laquelle n’importe quel individu ou organisme serait affilié avec un gouvernement étranger, ils peuvent encourir des pénalités sérieuses. La même chose pourrait s’appliquer à celles et ceux qui luttent pour de meilleures conditions de travail, pour la justice environnementale, pour les droits autochtones et autres.

Surveillance accrue à prévoir

Il est important de ne pas attiser la peur, et ce n’est pas prévu que ces accusations soient imminentes d’aucune façon – mais elles sont absolument plausibles sous ces nouvelles lois. Malgré les assurances du gouvernement, nous ne savons tout simplement pas comment elles seront appliquées. Cependant, aussi longtemps que cette possibilité existe, elles peuvent mener à une surveillance accrue, aux menaces de représailles et, enfin, à un effet paralysant sur la liberté d’expression et autres droits humains.

Les préoccupations entourant « en collaboration avec » s’étendent également à la nouvelle Loi sur l’influence étrangère et la transparence3 (LTR), créant un Commissaire à l’influence étrangère et à la transparence et le très attendu Registre de l’influence étrangère et de la transparenceLe nouveau registre exigera que les individus et les organismes s’inscrivent au registre si sous la direction de ou en association avec un commettant étranger :

  • communique avec un-e titulaire de charge publique;
  • communique ou diffuse de l’information reliée au processus politique ou gouvernemental;
  • ou distribue de l’argent, des objets de valeur ou offre un service ou l’utilisation d’un lieu.

L’obligation de s’enregistrer est plus étendue que le processus décrit ci-dessus, car un commettant étranger est défini plus vaguement qu’une « entité étrangère » et comprend l’engagement d’une manière beaucoup plus élargie que pour des changements de politiques. Les pénalités sont beaucoup moins sévères et incluent des options de fournir aux individus des avis avant de formuler de telles accusations. Cependant, l’obligation de s’inscrire dans un registre « d’influence étrangère » lorsque l’on agit simplement en association avec un commettant étranger soulève des préoccupations similaires. Tout groupement au Canada qui peut travailler avec un État étranger ou organisme affilié — même s’il n’agit pas au nom de cet organisme étranger — devrait inscrire  publiquement  qu’il  agit  sous « l’influence étrangère. » Ceci a soulevé des préoccupations sérieuses dans d’autres pays. Aux États-Unis, par exemple, une loi similaire d’enregistrement a mené a des enquêtes non-fondées4 d’organismes environnementaux et à l’obligation d’au moins un organisme national d’environnement réputé de s’inscrire à titre « d’agent étranger. » Nous pouvons nous attendre à des résultats semblables au Canada, paralysant la libre expression, la libre association et la capacité de travailler avec des partenaires internationaux sur des causes sociales importantes.

La liberté d’expression sous pression

Finalement, la Loi C-70 a élargi les délits existants de sabotage sous le Code criminel pour inclure le délit d’ingérence dans une nouvelle catégorie étendue « d’infrastructure essentielle », qui comprend le transport, l’approvisionnement alimentaire, les activités gouvernementales, l’infrastructure financière, ou toute autre infrastructure prescrite par règlement. N’importe lequel de ceux-ci peut, à un moment donné, faire l’objet d’une manifestation ou subir les répercussions d’une manifestation qui pourrait perturber leurs activités. Bien que la nouvelle loi prévoie une exclusion pour les revendications, les manifestations d’un désaccord ou les protestations, cela s’applique uniquement si les individus n’ont pas l’intention de causer du tort.

Cela laisse une grande marge de manœuvre d’interpréter « l’intention » de la protestation. Par exemple, les défenseur-e-s des territoires autochtones ont créé des blocus des chemins de fer et des routes dans le cadre d’actes de désobéissance civile avec le but avoué de perturber l’activité économique afin de mettre de la pression sur des responsables gouvernementaux. Sachant que cette action pourrait, théoriquement, créer du tort, il ne serait pas farfelu d’imaginer que le gouvernement pourrait utiliser une telle loi pour criminaliser ces protestations avec une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans. Il n’y a pas de doute que le public canadien pourrait mettre en question leur participation dans des activités de protestation puisque celles-ci pourraient être vues comme un crime plus sérieux de sabotage.

Au cours des prochains mois, le gouvernement établira les règlements et nommera le Commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère, ayant une incidence sur la manière dont ces lois seront interprétées et mises en œuvre. Il est essentiel que le public et les groupements de société civile demeurent vigilants et poursuivent leur pression sur le gouvernement afin de ne pas sacrifier les droits humains au nom de combattre l’ingérence étrangère.


1 En ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/O-5.pdf

2 Ibid. 

3 En ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/F-29.2/

4 Nick Robinson, The regulation of foreign funding of nonprofits in a democracy, International Center for Not-for-Profit Law, février 2024. En ligne : https://www.icnl.org/wp-content/uploads/Regulation-of-Foreign-Funding-of-Nonprofits-Feb-2024-author-version.pdf

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