Obligations de garder la paix – section 810.011 du Code criminel
Les obligations de garder la paix (plus techniquement, “engagement assorti de conditions”) sont essentiellement des ordonnances restrictives. Elles sont relativement courantes dans un contexte non-terroriste. Après les attentats du 11 septembre 2001, les obligations de garder la paix ont été étendues à un contexte de terrorisme. La section 810.011 du Code criminel stipule que “quiconque a des motifs raisonnables de craindre la possibilité qu’une personne commette une infraction de terrorisme peut, avec le consentement du/de la procureur.e général.e, déposer une dénonciation devant un.e juge d’une cour provinciale.”
Le/la juge peut ordonner ordonner que la personne contracte l’engagement, avec ou sans caution, de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite pour une période maximale de douze mois. Si la personne a déjà été reconnue coupable d’une infraction de terrorisme, le/la juge peut lui ordonner de contracter l’engagement pour une période maximale de cinq ans. Si la personne omet ou refuse de contracter un engagement, le/la juge peut lui infliger une peine de prison maximale de douze mois.
Le/la juge peut également ajouter des conditions raisonnables à l’engagement, tels que:
- de participer à un programme de traitement;
- de porter un dispositif de surveillance à distance, si le/la procureur.e général.e en fait la demande;
- de regagner sa résidence et d’y rester aux moments précisés dans l’engagement;
- de s’abstenir de consommer des drogues, de l’alcool ou d’autres substances intoxicantes;
- de remettre leurs armes à feu et autres armes;
- de déposer leur passeport; ou
- de rester dans une zone géographique déterminée.
Une violation de l’engagement est une infraction pénale passible d’un emprisonnement maximal de quatre ans.
La détention préventive – section 83.3 du Code criminel
Il existe une autre forme d’obligations de garder la paix (ou engagement assorti de conditions) dans le Code criminel : l’article 83.3, qui est plus communément connu sous le nom de détention préventive. Il stipule ce qui suit: “Un.e agent.e de la paix peut déposer une dénonciation devant un.e juge de la cour provinciale avec le consentement préalable du/de la procureur.e général.e. si, à la fois :
- il a des motifs raisonnables de croire à la possibilité qu’une activité terroriste soit entreprise;
- il a des motifs raisonnables de soupçonner que l’imposition, à une personne, d’un engagement assorti de conditions ou son arrestation aura vraisemblablement pour effet d’empêcher que l’activité terroriste ne soit entreprise.
Le/la juge peut ordonner que la personne contracte l’engagement, avec ou sans caution, de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite pour une période maximale de douze mois. Si la personne a déjà été reconnue coupable d’une infraction de terrorisme, le/la juge peut lui ordonner de contracter l’engagement pour une période maximale de deux ans. Si la personne omet ou refuse de contracter un engagement, le/la juge peut lui infliger une peine de prison maximale de douze mois. Une violation de l’engagement est une infraction pénale passible d’un emprisonnement maximal de quatre ans.
Cette disposition a été introduite par la Loi antiterroriste de 2001. À notre connaissance, elle n’a pas encore été utilisée montrant qu’elle n’est pas nécessaire pour empêcher les actes de terrorisme. La disposition est soumise à une clause crépusculaire tous les cinq ans, puisque de l’avis même des législateurs il s’agit d’une restriction grave du droit à la liberté garanti par la Charte canadienne. En mars 2007, il y a eu une tentative du gouvernement conservateur minoritaire de renouveler cette disposition – parallèlement à la disposition sur les audiences d’investigation – mais la motion a échoué. Les Libéraux ont voté contre la réintégration de ces dispositions en 2007. Le projet de loi S-7, introduit en 2013, a proposé de rétablir les deux dispositions. Il a été adopté cette fois avec l’appui des Libéraux.
C-51: L’abaissement du seuil de privation de liberté
La Loi antiterroriste de 2015 (le projet de loi C-51) a abaissé les seuils d’obligations à remplir afin d’effectuer une arrestation préventive ou d’utiliser un engagement de garder la paix, et allonge la durée pendant laquelle une personne peur être détenue sans avoir été inculpée, tout en suggérant aux juges un nouvelle gamme de conditions. Permettre aux individus de faire l’objet de restrictions sévères à leur liberté sans accusation en matière pénale – encore moins une condamnation – était déjà autorisé en vertu du Code criminel. Ces mesures sont extraordinaires et doivent être autorisées que dans les cas les plus exceptionnels, mais C-51 a élargi la capacité de l’État de contrôler la liberté d’un individu sans aucune accusation criminelle ou sans conviction, et avec peu d’indication d’un plan ou d’intention de commettre un crime en abaissant le seuil pour une arrestation préventive de « commettra » un crime à « possibilité de commettre » un crime.
Le professeur de droit en matière de sécurité nationale de l’Université d’Ottawa Craig Forcese dit que: “Chaque fois que les normes de preuve sont détendues d’une telle façon, le risque de faux positifs augmente. Par conséquent, les obligations de garder la paix risquent d’aller trop loin. À cet égard, elles peuvent se révéler trop fortes, enveloppant les mauvaises personnes dans leur étreinte étouffante.” Les obligations de garder la paix “n’empêcheront pas nécessairement une personne dangereuse et déterminée” de faire du mal. D’autre part, elle est potentiellement une mesure trop agressive pour quelqu’un qui pourrait ne jamais comment l’acte craint”. Forcese explique également comment il pourrait être facile de violer les «conditions onéreuses» d’une obligation de garder la paix, ce qui pourrait signifier la prison pour un comportement qui ne serait pas considéré comme criminel dans un autre contexte. Le simple fait de marcher dans une pièce avec un ordinateur quand on est pas censé être dans une pièce avec des ordinateurs, par exemple, serait considéré comme une violation.
Combien de fois ont-elles été utilisées?
Selon Forcese, il y a eu 16 obligations de garder la paix entourant des craintes de terrorisme signées depuis 2001. Ce nombre est basé sur le rapport de décembre 2015 de Stewart Bell. M. Bell a à son tour fondé ses reportages sur une figure du Service des poursuites pénales du Canada : en 2015, “la police ont obtenu des obligations de garder la paix liées au terrorisme contre neuf personnes dans quatre provinces.” En outre, nous savons qu’il y a eu au moins 6 obligations de garder la paix jusqu’à aujourd’hui (bien qu’il soit possible qu’il y en ait eu 8, comme indiqué ci-dessous). Il y a eu 4 processus d’obligations de garder la paix en cours en 2016, à sa connaissance. Driver a en effet accepté une obligation de garder la paix – un record parfait pour la Couronne qui semblerait ne pas avoir eu à utiliser le plein jugement de la cour pour les questions d’obligations de garder la paix. Un autre, contre Kevin Omar Mohamed, a maintenant été abandonné au profit d’accusations criminelles pures et simples. Un autre – Habib – a aussi été transformé en accusations criminelles, mais il y aurait encore la possibilité d’une obligation de garder paix dans le mélange (une perspective que Forcese et nous ne pouvons expliquer et trouvons étrange). Et un dernier processus qui s’est conclu avec une obligation de garder la paix (Elabi) qui, en dépit d’une faute de frappe apparente dans la référence à l’article du Code criminel, était lié au terrorisme.
Mise à jour: Le 21 avril, deux hommes ont été arrêtés en vertu de l’article 810.011 du code criminel. Ils sont rapidement apparus devant la cour et y retourneront dans un mois. Leur avocat ne connaît toujours pas les allégations pesant contre les deux hommes.
Sources
Code criminel, Section 810.011, Crainte d’une infraction de terrorisme : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-46/page-203.html
Code criminel, article 811, Manquement à l’engagement : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-46/page-206.html#docCont
Code criminel, article 83.3, Engagement assorti de conditions : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-46/page-18.html
Vice News, When Canadian Police Can’t Charge People for Terrorism, They Use Peace Bonds : https://news.vice.com/article/when-canadian-police-cant-charge-people-for-terrorism-they-use-peace-bonds
Craig Forcese, Antiterror Peace Bonds In A Nutshell : http://craigforcese.squarespace.com/national-security-law-blog/2016/4/1/antiterror-peace-bonds-in-a-nutshell.html
Puisque vous êtes ici…… nous avons une faveur à vous demander. À la CSILC, nous travaillons sans relâche afin de protéger et promouvoir les droits humains et les libertés civiles dans le contexte de la soi-disant “guerre au terrorisme” au Canada. Nous ne recevons aucune aide financière des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral, ni d’aucun parti politique. Tout don nous aidera à poursuivre notre travail. Vous hésitez à donner? Consulter la page sur nos nombreuses Réalisations et Acquis depuis 2002. Merci de votre générosité!
|