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SCRS : l’obligation de franchise et l’immunité relative aux activités illégales

La députée Salma Zahid (à gauche); Tim McSorley, CSILC (centre-gauche); Stephen Brown, NCCM (au centre à droite) et Karine Devost, NCCM (à droite) lors d’une conférence de presse présentant le projet de loi C-331. Crédit : Jeffrey Jedras

Par Tim McSorley

Dans l’exercice de ses fonctions, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a des antécédents troublants en matière de contournement de la loi et de comportement contraire à l’éthique, voire à la loi : sa connivence en matière de renvoi, détention et torture de Canadien⋅nes, son harcèlement de personnes musulmanes à l’école et au travail, sa surveillance de militant⋅es écologistes ou encore sa manipulation du système judiciaire. Dernièrement, d’importantes révélations ont été faites sur la manière dont le SCRS continue d’appliquer ce mode de fonctionnement troublant.

Obligation de franchise et tromperie lors d’audiences du tribunal

Au cours des cinq dernières années, de multiples décisions judiciaires et examens[1] ont montré que le SCRS avait induit les tribunaux en erreur et dissimulé des informations importantes aux juges lors des demandes de mandats, y compris le fait que les informations utilisées à l’appui de ces mandats avaient été obtenues de manière illégale. C’est ce que l’on appelle un manquement à « l’obligation de franchise » envers les tribunaux. En d’autres mots, le SCRS a l’obligation de dire la vérité aux tribunaux, mais il ne s’y est pas conformé. Cette obligation de franchise est d’autant plus importante que le SCRS et les avocat⋅es du gouvernement fournissent des informations aux tribunaux lors d’audiences qui se déroulent à huis clos. Personne n’est présent pour s’opposer à la demande ni – hormis le juge – pour remettre en question les informations fournies à l’appui de ces mandats, ce qui est problématique en soi.

La plus importante de ces décisions a été rendue par le juge Patrick Gleeson de la Cour fédérale du Canada. Dans cette décision, la Cour a examiné de nombreux cas où le SCRS a manqué à son obligation de franchise, et ce, sur plusieurs années. Dans une décision incroyablement accablante, le juge déclare : « Les circonstances soulèvent des questions fondamentales concernant le respect de l’État de droit, le contrôle des activités de renseignement de sécurité et les actions des décideur⋅ses[2] ». À la suite de cette décision, et d’une autre décision du juge O’Reilly, deux mois plus tard, révélant une nouvelle infraction, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) a écrit au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Bill Blair, lui demandant de prendre des mesures immédiates pour mettre un terme à cet abus de pouvoir et responsabiliser les agent⋅es du SCRS impliqué⋅es[3]. Parallèlement à cette lettre, nous avons lancé un mouvement générant plus de 1600 courriels adressés aux ministres de la Sécurité publique et de la Justice.

Cette décision a également donné lieu à un examen approfondi par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR). L’Office a constaté que des problèmes systémiques profonds et persistants compromettaient la capacité du SCRS à respecter ses obligations envers les tribunaux.

En dépit du fait que le nombre de décisions et l’importance des questions soulevées nécessite non seulement une réponse immédiate de la part de l’agence d’espionnage nationale du Canada mais aussi l’obligation de rendre des comptes, le gouvernement tarde à prendre des mesures concrètes. L’engagement du gouvernement en faveur de réformes a été considérablement compromis lorsque celui-ci a fait appel de la décision du juge Gleeson selon laquelle l’agence avait manqué à son obligation de franchise. La décision rendue en appel a donné des résultats mitigés. Il est décevant de constater que la Cour d’appel fédérale s’est rangée du côté du gouvernement et a annulé la conclusion selon laquelle le SCRS avait manqué à son obligation de franchise, en dépit de toutes les preuves à l’appui. Parallèlement, elle a confirmé la recommandation du tribunal de première instance suivant laquelle « un examen externe exhaustif soit effectué afin de relever l’ensemble des lacunes et des défaillances systémiques, culturelles et liées à la gouvernance qui ont eu pour conséquences que le [SCRS] a mené des activités opérationnelles dont il a reconnu l’illégalité et a manqué à son obligation de franchise[4] ».

Le gouvernement devrait plutôt démontrer clairement la façon dont le personnel et les avocat⋅es du SCRS, qui ont induit les tribunaux en erreur, sont tenu⋅es de rendre des comptes, et les mesures à prendre pour changer la culture de l’agence d’espionnage qui considère la procédure d’obtention de mandat comme « un mal nécessaire[5] ».

En 2021, nous avons également adressé une lettre ouverte au premier ministre Trudeau, lui demandant de faire de cette question une priorité dans sa lettre de mandat au précédent ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino[6].

Un projet de loi déposé par la députée Salma Zahid

La députée libérale Salma Zahid a déposé le projet de loi d’initiative parlementaire C-331, la Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (obligation de franchise). Le projet de loi prévoit notamment que le ministre de la Sécurité publique dépose chaque année à la Chambre des communes des informations non classifiées sur le nombre de manquements à l’obligation de franchise devant les tribunaux, une description de chaque manquement et toute mesure corrective prise. Il modifierait également le serment professionnel prêté par la direction et les employé⋅es du SCRS afin d’y inclure les obligations à l’égard des tribunaux, notamment la franchise. La députée Salma Zahid a tenu des consultations publiques sur cette question qui ont servi de base à la formulation du projet de loi. Nous avons soumis un mémoire écrit à la députée, nous l’avons rencontrée avec son équipe, nous avons participé à une table ronde à Ottawa avec elle et la députée Jenna Sudds, et nous nous sommes joint⋅es à la députée Zahid lors d’une conférence de presse annonçant le dépôt du projet de loi C-331[7].

L’affaire Shamima Begum

En août 2022, la presse a révélé que le trafiquant d’êtres humains, Mohammed al-Rashed qui, en 2015, avait aidé trois jeunes britanniques de 15 et 16 ans, dont Shamima Begum, à entrer sur le territoire contrôlé par Daesh (État islamique) en Syrie, était à la solde du SCRS[8]. À la suite de cette nouvelle, nous avons publié une déclaration[9] concernant l’affaire Shamima Begum et le SCRS, et avons écrit au bureau du premier ministre pour demander des comptes. Nous avons également contacté l’OSSNR concernant leur examen de l’affaire Shamima Begum.

Mohammed al-Rashed est devenu un agent du SCRS après avoir demandé l’asile à l’ambassade du Canada en Jordanie. Au lieu de lui accorder l’asile, un fonctionnaire du SCRS l’a recruté pour qu’il poursuive ses activités illégales en échange de la citoyenneté.

Quel est le lien entre cette affaire et l’obligation de franchise du SCRS? L’un des domaines dans lesquels le SCRS a induit les tribunaux en erreur concerne son rapport avec des sources qui se livrent à des activités illégales. Le SCRS a dissimulé ces informations aux tribunaux, manquant ainsi à son obligation de franchise[10].

À l’époque, en 2015, le SCRS n’était pas habilité par la loi à recruter et à fournir des ressources à une personne soutenant le terrorisme. Cela a toutefois changé en 2019 avec l’adoption du projet de loi C-59 – la Loi sur la sécurité nationale – qui a introduit des règles permettant aux agent⋅es du SCRS et à leurs sources de s’engager dans certaines activités illégales désignées[11]. Nous nous sommes opposé⋅es à ce changement à l’époque, car il soulevait de vives inquiétudes quant aux activités illégales que le SCRS pourrait soutenir. Nous ne pensons pas que les garanties mises en place par le gouvernement compensent le préjudice potentiel que ces pouvoirs peuvent engendrer.

Même si cette pratique est désormais légale, le SCRS a tout de même menti aux tribunaux à l’époque pour dissimuler sa collaboration avec un trafiquant d’êtres humains qui a permis à des dizaines de personnes, dont des mineur⋅es, d’entrer sur le territoire de Daesh. Comme c’est souvent le cas dans le sillage de la guerre contre le terrorisme, il s’agit d’un cas d’impunité pour les agences de sécurité, alors que d’autres personnes font face à des conséquences désastreuses.

Mais au-delà de tout cela, il est impératif que nous ayons un débat public approfondi sur les manquements constants du SCRS au respect de la loi et à la franchise devant les tribunaux. Il en va de même quant à l’impact des activités antiterroristes du Canada sur les droits de la personne, les libertés civiles et la discrimination systémique, ici et à l’échelle internationale. Un élément essentiel serait l’ouverture d’une enquête publique sur ces questions afin de garantir la responsabilité des fonctionnaires et des agent⋅es de la sécurité nationale, ainsi que d’empêcher que de telles violations ne se reproduisent.

Vous pouvez agir à l’adresse suivante : iclmg.ca/csis-not-above-law


Tim McSorley est le coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Notes de bas de page

[1] Cour fédérale, Loi sur les services canadiens de renseignement de sécurité (CA) (Re) (2020 CF 616) : https://decisions.fct-cf.gc.ca/fc-cf/decisions/fr/item/482466/index.do#_Toc45630178 [2020 CF 616]; Cour fédérale, concernant la demande de réexamen de l’ordonnance de la Cour dans l’affaire Peshdary c. AGC (2018) (2020 CF 137) : https://decisions.fct-cf.gc.ca/fc-cf/decisions/fr/item/460406/index.do; OSSNR, Révision découlant de l’arrêt de la Cour fédérale en 2020 CF 616 : https://nsira-ossnr.gc.ca/fr/examens/examens-en-cours-et-termines/examens-termines/nsira-review-arising-from-federal-courts-judgment-in-2020-fc-616/. [OSSNR 2020]

[2] 2020 CF 616

[3] Tim McSorley, « De nouvelles révélations sur les activités illégales et la tromperie des tribunaux de l’agence d’espionnage montrent la nécessité d’une action concrète et d’une reddition de comptes », CSILC, 2 septembre 2020 (en anglais) : https://iclmg.ca/new-revelations-of-csis-misleading-courts/

[4] OSSNR 2020

[5] M. Rosenberg. Examen indépendant sur l’obligation de franchise au sein du SCRS, 2020-03-03, diapositive 5, cité dans l’Examen de l’OSSNR découlant de la décision 2020 CF 616 de la Cour fédérale : https://nsira-ossnr.gc.ca/fr/examens/examens-en-cours-et-termines/examens-termines/nsira-review-arising-from-federal-courts-judgment-in-2020-fc-616/.

[6] Tim McSorley, « Sept priorités en matière de libertés civiles pour le prochain Parlement », CSILC, 8 octobre 2021 (en anglais) : https://iclmg.ca/next-parliament/

[7] Tim McSorley, « La CSILC soutient le nouveau projet de loi visant à accroître la responsabilité du SCRS », CSILC, 10 mai 2023 (en anglais) : https://iclmg.ca/bill-c331-csis-accountability/

[8] Emily Dugan et Dan Sabbagh, “Shamima Begum ‘smuggled into Syria for Islamic State by Canadian spy’”. The Guardian, 31 août 2022 : https://www.theguardian.com/uk-news/2022/aug/31/shamima-begum-smuggled-into-syria-for-islamic-state-by-canadian-spy; Dan Sabbagh, “Should Shamima Begum be allowed to return to the UK to argue her case?” The Guardian, 31 août 2022 : https://www.theguardian.com/uk-news/2022/aug/31/should-shamima-begum-be-allowed-to-return-to-the-uk-to-argue-her-case

[9] Tim McSorley, « Le premier ministre Trudeau et le SCRS doivent fournir des réponses et rendre des comptes sur le rôle du Canada dans l’affaire Shamima Begum », 1er septembre 2022 (en anglais) : https://iclmg.ca/we-need-answers-on-begum-affair/

[10] Cour fédérale, Loi sur les services canadiens de renseignement de sécurité (CA) (Re) (2020 FC 616) : https://decisions.fct-cf.gc.ca/fc-cf/decisions/fr/item/482466/index.do

[11] Tim McSorley et Xan Dagenais, Mémoire sur le projet de loi C-59, Loi sur la sécurité nationale, 2017, mai 2019 : https://iclmg.ca/wp-content/uploads/2019/05/Int_Civil_Liberties_Monitoring_Gr_f.pdf

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Contrôles et atteintes aux droits et libertés à la frontière

Illustration créée pour Human Rights Watch en 2021. Crédit : Brian Stauffer

Par Patricia Poirier

Le 18 juin 2008, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) lançait le projet d’échange d’informations sur les contrôles frontaliers et les atteintes à la liberté et aux droits des voyageur⋅ses. Cette date marquait le premier anniversaire de l’entrée en vigueur de la liste canadienne des personnes interdites de vol ou du Programme de protection des passagers. Le projet a analysé les pratiques de contrôle frontalier utilisées pour filtrer les voyageur⋅ses dans les aéroports canadiens et aux postes-frontières entre le Canada et les États-Unis. Il s’agissait également d’étudier l’impact de ces pratiques sur la vie privée, les libertés civiles et les droits humains des personnes vivant au Canada, qu’il s’agisse de citoyen⋅nes, d’immigrant⋅es reçu⋅es ou de demandeur⋅ses d’asile.

Nous avons été témoins d’un nombre croissant d’incidents frontaliers, ainsi qu’un changement dans leur nature, parallèlement à l’instauration de la liste des personnes interdites de vol et la connexion en temps réel des bases de données et des listes de surveillance des forces de l’ordre du Canada et des États-Unis. Le profilage racial et religieux et le ciblage des musulman⋅es et des membres des communautés arabes, bien documentés, s’étendent maintenant à d’autres groupes, notamment aux universitaires et aux activistes pour les syndicats, pour la paix, et pour la justice.

La liste de personnes interdites de vol constitue la mesure la plus visible résultant directement des efforts croissants d’intégration des systèmes de sécurité du Canada et des États-Unis dans le cadre de la Déclaration sur la frontière intelligente de 2001, suivie du Partenariat pour la sécurité et la prospérité en 2005. Ces efforts ont inclus le programme NEXUS, le Centre national d’évaluation des risques, l’Initiative d’identification des voyageurs à risque élevé et les Équipes intégrées de la police des frontières.

En décembre 2011, le Canada et les États-Unis ont dévoilé l’entente « Par-delà la frontière » et ont discrètement commencé à implanter certaines mesures en vue d’établir un périmètre de sécurité nord-américain. Il s’agissait notamment d’étendre les programmes des voyageur⋅ses fiables et de renforcer la coopération intégrée en matière d’application de la loi et d’échange d’informations, ce qui a soulevé de multiples inquiétudes en matière de protection de la vie privée.

De concert avec plusieurs de nos membres et partenaires – la British Columbia Civil Liberties Association, l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, le Congrès du travail du Canada, le Syndicat canadien de la fonction publique et la Ligue des droits et libertés – nous souhaitions obtenir des informations de première main. Ceci dans le but d’étayer notre travail de sensibilisation et d’attirer l’attention du grand public sur les questions relatives aux listes de surveillance. Le projet a combiné recherche, analyse politique et les récits de voyageur⋅ses ayant été interdit⋅es de vol, intercepté⋅es ou détenu⋅es. Sur une période de deux ans, nous avons déposé des demandes d’accès à l’information et avons rencontré des responsables du gouvernement, le Commissaire à la protection de la vie privée du fédéral et plusieurs commissaires des provinces, ainsi que leurs équipes.

Nous avons recensé et analysé d’innombrables rapports provenant des deux côtés de la frontière concernant le nombre vertigineux d’ententes, de mesures, de programmes ou de bases de données de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), de Transports Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Afin de déterminer l’impact de ces différents programmes et réglementations sur les voyageur⋅ses, nous avons mis en place un site Web et un numéro de téléphone gratuit où les gens pouvaient rapporter leurs démêlés avec les compagnies aériennes, les responsables des transport et les autorités frontalières. Les informations recueillies sont restées confidentielles sauf si les participant⋅es acceptaient d’être identifié⋅es. Plus de 70 histoires ont ainsi été recueillies.

En février 2010, à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Vancouver, nous avons publié le rapport final[1] de 55 pages. Ce document tombait à point nommé, car plusieurs signalements faisaient état de visiteur⋅ses interrogé⋅es et détenu⋅es à leur arrivée à l’aéroport local ou à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Les militant⋅es pour la liberté d’expression ont été particulièrement visé⋅es, notamment la célèbre journaliste et présentatrice américaine Amy Goodman. Notre rapport énumère le nombre croissant de bases de données et de listes utilisées pour surveiller les voyageur⋅ses nord-américain⋅es. On y décrit comment les informations sont collectées, triées, recoupées, stockées et partagées entre les agences gouvernementales des deux côtés de la frontière, et avec d’autres gouvernements.

Depuis le 11 septembre 2001, l’identification, l’évaluation et l’atténuation des risques sont au cœur des pratiques de gestion des frontières. L’ASFC a déjà reconnu que son objectif était de créer une « frontière virtuelle » qui soit la plus proche possible de la source de risque, sans égard à la frontière physique traditionnelle.

Voici les principales constatations qui ressortent de notre rapport :

  • Le profilage racial et religieux existe bel et bien à la frontière canado-étasunienne;
  • Il existe un réel risque d’abus et de violation des droits des voyageur⋅ses en raison des pouvoirs discrétionnaires et arbitraires accordés aux agent⋅es de l’ASFC;
  • La plupart des gens ne sauront jamais pourquoi ils sont ciblés;
  • Il n’existe aucun mécanisme de recours fiable pour les passager⋅es qui, à plusieurs reprises, sont interrogé⋅es, détenu⋅es et soumi⋅ses à un contrôle supplémentaire à l’aéroport, ou pour les individus arrêtés ou refoulés « aléatoirement » à la frontière;
  • Un grand nombre d’entre eulles, en particulier des musulman⋅es, ont déclaré qu’iels ne voyageaient plus à l’extérieur du Canada par crainte d’être ciblé⋅es, le calvaire de Maher Arar étant encore bien présent à leur esprit;
  • L’absence de mécanisme de recours digne de ce nom a exacerbé les risques d’abus et de violation des droits garantis par la Charte, notamment les droits à la vie privée, à la mobilité et à l’égalité.

La CSILC a alors recommandé certaines mesures au gouvernement et aux parlementaires qui avaient pratiquement ignoré la question de la liste des personnes interdites de vol depuis sa création, notamment les suivantes :

  • Le gouvernement doit reconnaître que le profilage racial et religieux est un facteur déterminant dans la manière dont les individus sont traités, interdits de vol et fichés sur diverses listes de surveillance. Il doit revoir ces pratiques inconstitutionnelles qui violent la Charte canadienne des droits et libertés;
  • La liste d’interdiction de vol (qui a plus tard été élargie par l’imposition du programme étasunien Secure Flight aux compagnies aériennes canadiennes) doit être réexaminée par le Parlement en fonction de la Charte en raison du non-respect de la procédure régulière et de l’absence de contrôle judiciaire;
  • Compte tenu des pouvoirs discrétionnaires et arbitraires de l’ASFC et de l’absence de tout mécanisme d’imputabilité, un organisme de contrôle indépendant doit être constitué, comme l’a recommandé en 2006 le juge O’Connor, lors de son enquête sur le cas de Maher Arar;
  • Le Parlement doit se pencher sur les préoccupations relatives à la protection de la vie privée et au déploiement de la biométrie et autres technologies ciblant les voyageur⋅ses.

Enfin, notre rapport prévoyait à juste titre que la situation serait aggravée par l’Accord sur le périmètre de sécurité nord-américain (conclu en décembre 2009) qui établit un dispositif harmonisé de protection des frontières et de sécurité nationale pour l’ensemble du Canada et des États-Unis.

En août 2022, la Cour fédérale a confirmé la constitutionnalité de la liste des personnes interdites de vol, tout en reconnaissant qu’elle portait atteinte aux droits à la mobilité, atteinte qui serait toutefois justifiée. La Cour a déclaré : « Assurer la sécurité du transport aérien et limiter les déplacements aériens à des fins terroristes implique nécessairement une certaine atteinte aux droits de mobilité ». Nous nous élevons contre cette décision.

La CSILC continue de lutter pour l’abolition de la liste canadienne des personnes interdites de vol, la fin de la conformité du gouvernement canadien au programme étasunien Secure Flight et la mise en place d’un organisme indépendant chargé d’examiner les plaintes contre l’ASFC.


Patricia Poirier est une ancienne journaliste qui s’est consacrée aux questions touchant les droits de la personne, la justice et la protection de la vie privée à titre de chercheurse et consultante en communications à Ottawa, Moscou, Jérusalem et Montréal où elle est bénévole.

[1] CSILC et al., Rapport de recherche sur les contrôles frontaliers et les atteintes à la liberté et aux droits des voyageurs, CSILC, février 2010.

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Sans examen efficace, les droits de la personne restent fragiles

Monia Mazigh et Maher Arar.

Par Alex Neve

Sans transparence ni responsabilité, les violations des droits de la personne sont pratiquement inévitables. Et sans examen ni contrôle efficace, la transparence et la responsabilité restent incertaines. Et ce, tout particulièrement dans le domaine de la sécurité nationale, où le secret est omniprésent.

Il était donc crucial que, dans le cadre du mandat de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, établie en 2004, le juge Dennis O’Connor soit chargé de formuler des recommandations pour la mise en place d’un mécanisme permettant l’examen indépendant et autonome des activités de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en matière de sécurité nationale. Dans son rapport, publié en décembre 2006, le juge a succinctement expliqué l’importance d’un tel mécanisme :

La confiance du public est particulièrement importante dans le contexte de la sécurité nationale, où de larges pans de l’activité policière doivent, pour des raisons légitimes, demeurer secrets. Dans une société libre et démocratique, la revendication du secret, même fondée, est susceptible de faire naître des préoccupations et des soupçons fort compréhensibles. En matière de sécurité nationale, le public doit être convaincu que des personnes indépendantes et respectées verront ce que lui-même ne peut voir et poseront les questions difficiles et éclairées que lui-même ne peut poser[1].

La nécessité d’un examen de la sécurité nationale s’est imposée dès le début de la campagne visant à libérer Maher Arar, détenu illégalement en Syrie. Après la libération de M. Arar, cette nécessité a été exacerbée par les inquiétudes croissantes quant au rôle joué par la police canadienne et les agences de sécurité nationale dans les violations des droits de M. Arar perpétrées par les autorités américaines, jordaniennes et syriennes.

Il est apparu très clairement que la famille de M. Arar n’avait aucun moyen de déposer une plainte susceptible d’être traitée de manière efficace et indépendante pendant la détention de M. Arar, au moment où il avait besoin d’assistance. Et il est apparu tout aussi clairement qu’aucun organisme n’était en mesure d’enquêter après coup, de fournir à M. Arar les réponses auxquelles il avait droit, et d’assurer le public que de telles injustices ne se reproduiraient pas.

C’est dans ce contexte que la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) et d’autres organisations de défense des droits de la personne se sont intéressées à des questions jusque-là hors de leur champ d’intervention. Quels organismes ou processus d’examen ou de surveillance de la sécurité nationale existent au Canada? Sont-ils efficaces et dans quelle mesure? Quels en sont les angles morts? Et surtout, que peut-on faire pour renforcer l’examen et le contrôle de la sécurité nationale dans le pays?

Quelques constats ont émergé rapidement. Tout d’abord, les variations considérables et les nombreuses failles observées dans le mandat et les pouvoirs des organes de contrôle existants. C’était manifestement le cas de ce qui s’appelait alors la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP), qui avait très peu de pouvoir pour forcer la GRC à coopérer et à se conformer à la loi. Deuxièmement, il y avait d’importantes lacunes, notamment l’absence d’un organisme indépendant chargé d’examiner les activités de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui joue un rôle crucial dans les opérations de sécurité nationale. Troisièmement, il y avait le statu quo des organes d’examen spécifiques à chaque agence – la CPP pour la GRC[2], le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications pour le CST. Résultat : des examens cloisonnés au moment où les organisations elles-mêmes adoptaient un fonctionnement de plus en plus coordonné, voire intégré.

Le juge O’Connor a recommandé une révision complète de l’examen de la sécurité nationale dans le pays, y compris des pouvoirs accrus pour les organismes d’examen, l’élargissement de l’examen indépendant à toutes les agences impliquées dans les opérations de sécurité nationale, et la création d’un comité intégré pour rassembler tous les organismes d’examen.

La CSILC a largement contribué à la Commission Arar, notamment en ce qui concerne l’étude des options pour l’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale. La CSILC a soumis des propositions judicieuses et a joué un rôle de premier plan dans la mobilisation d’autres organisations de défense des droits de la personne. Ce travail a, de toute évidence, influé sur les recommandations du juge O’Connor.

Mais il reste du pain sur la planche : c’est ce que la CSILC ne cesse d’observer depuis vingt ans. Les luttes pour la défense des droits de la personne dans l’univers de la sécurité nationale sont des luttes de longue haleine.

Le rapport du juge O’Connor a été publié en décembre 2006, mais il a fallu attendre onze ans pour que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR) soit institué, en 2017, et treize ans pour que la loi visant à créer l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) soit adoptée, en 2019.

La CSILC n’a pas faibli au cours de ces années et s’est employée avec diligence à maintenir la question de la réforme des processus de contrôle de la sécurité nationale sous les yeux du public, des médias et des parlementaires.

Il reste cependant une tâche inachevée, puisqu’il n’existe toujours pas d’organe d’examen indépendant chargé de surveiller l’ASFC. Il s’agit d’une lacune flagrante en matière d’examen indépendant des opérations d’application de la loi et de sécurité nationale au Canada. Sur ce point également, la CSILC a continué à faire pression. Le projet de loi C-20[3] est actuellement à l’étude à la Chambre des communes. S’il est adopté, l’actuelle Commission civile d’examen et de plaintes de la GRC sera remplacée par un nouvel organisme, la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public, qui aura pour mandat d’examiner à la fois la GRC et l’ASFC.

Tous ces travaux se poursuivent. Le CPSNR et l’OSSNR sont encore relativement nouveaux. Le projet de loi C-20 n’a pas encore été adopté. Mais la CSILC a indéniablement joué un rôle clé dans le renforcement de l’examen de la sécurité nationale au pays.

Entre-temps, les personnes et les familles qui ont subi des préjudices dans le cadre des opérations de sécurité nationale du Canada sont toujours obligées de se tourner vers les tribunaux et les campagnes publiques de défense des droits pour obtenir les réponses, la reddition de comptes et les réparations auxquelles elles ont droit. C’est actuellement le cas, par exemple, de Hassan Diab, Abousfian Abdelarazik et d’une vingtaine de Canadien⋅nes abandonné⋅es dans des camps de détention dans le nord-est de la Syrie. Le rôle de la CSILC dans le soutien à ces personnes et à leur famille, et dans la coordination des campagnes menées par d’autres groupes et défenseur⋅es des droits de la personne a été et continue d’être crucial.

Bien qu’il reste beaucoup à faire, des progrès notables ont été réalisés au cours des vingt dernières années pour soutenir le principe fondamental voulant que les droits de la personne ne doivent pas être sacrifiés au nom de la sécurité nationale. Un contrôle fort, efficace et indépendant des organismes de sécurité nationale est essentiel pour prolonger les avancées dans la défense des droits de la personne. La CSILC a été l’un des fers de lance des gains obtenus et jouera sans aucun doute un rôle essentiel pour relever les nombreux défis qui subsistent.


Alex Neve est professionnel en résidence à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et professeur auxiliaire de droit international des droits de la personne aux facultés de droit de l’Université Dalhousie et de l’Université d’Ottawa. Il a été secrétaire général de la branche anglophone d’Amnistie internationale Canada de 2000 à 2020.

Notes de bas de page

[1] Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale, décembre 2006, p. 539.

[2] La CPP a été remplacée par la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes en novembre 2014.

[3] LegisInfo, Projet de loi C-20 : Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires.

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