Pourquoi nous devons abandonner l’antiterrorisme et la sécurité nationale

Écrit par Anne Dagenais, responsable aux Communications et à la Recherche à la CSILC.

Merci aux Nouveaux Cahiers du Socialisme et à Maya Berbery pour leur travail de traduction. Cette version française a été publiée en ligne le 4 octobre par les Nouveaux Cahiers du Socialisme.


Depuis le 11 septembre 2001, les groupes de défense des libertés civiles, des droits de la personne et de lutte contre le racisme mettent en garde contre l’impact des lois sur l’antiterrorisme et la sécurité nationale. Cela dure depuis si longtemps, qu’on n’y prête désormais peu d’attention.

Si la menace qui pèse sur les libertés civiles n’a cessé de croître au cours des 20 dernières années, les événements récents ont suscité un regain d’inquiétude : pressions pour l’adoption de nouvelles lois sur le terrorisme intérieur aux États-Unis, ajout d’inscriptions à la liste des entités terroristes au Canada, élargissements de la définition de la « sécurité nationale » et augmentation incessante des pouvoirs et des ressources des agences de sécurité nationale.

Les gouvernements tentent de justifier leurs actions au nom de la « sécurité », mais aucun ne s’attaque réellement aux causes profondes de la violence qu’il prétend combattre.

Nous devons changer de cible : passer de la sécurité nationale, c’est-à-dire la préservation de la souveraineté et donc du pouvoir de l’État, à la sécurité humaine, c’est-à-dire la protection des personnes pour qu’elles puissent agir et vivre à l’abri du besoin et du danger.

Le concept de « la loi et l’ordre » – et plus tard de la « sécurité nationale » – est utilisé sur le territoire maintenant appelé Canada depuis que les colons européens ont décidé que cette terre leur appartenait et qu’il fallait écarter les peuples autochtones, qui faisaient obstacle à leur projet colonial. La Gendarmerie royale du Canada a été créée — d’abord sous le nom de Police à cheval du Nord-Ouest — en grande partie comme une force paramilitaire chargée de surveiller, contrôler et déplacer les peuples autochtones, un rôle qu’elle joue encore aujourd’hui et qui suscite des appels à l’abolition de la GRC.

Voici à quoi ont mené les inquiétudes entourant la « sécurité nationale » au Canada :

Et on ne parle ici que du Canada.

De plus, à mesure que la crise climatique et la pandémie de la COVID-19 s’aggravent, les appels se multiplient pour les qualifier de menaces à la « sécurité nationale ». Certaines personnes qui réclament des actions urgentes pour faire face à ces crises ont remarqué la démesure de l’attention et des ressources consacrées aux problèmes et aux agences de sécurité nationale. Elles espèrent donc que la qualification de la crise climatique et de la pandémie comme « menaces à la sécurité nationale » entraînera des réponses tout aussi sérieuses. On peut certainement comprendre la logique qui consiste à voir dans la crise climatique et dans la pandémie des menaces existentielles pour l’humanité, et on peut comprendre les tensions qui résultent de la mauvaise gestion par les gouvernements de ces deux crises dans une optique de sécurité. Cependant, non seulement l’appareil de sécurité nationale est mal outillé pour s’attaquer aux questions écologiques et sanitaires, mais l’accroissement des ressources octroyées aux organismes de sécurité nationale ne fera qu’augmenter les abus que l’on vient de décrire.

Les mots « terrorisme » et « menaces à la sécurité nationale » sont puissants. Nourris par des années de campagnes de peur incessantes de la part des gouvernements et des médias, ils provoquent une condamnation automatique de quiconque porte ces étiquettes. Ces étiquettes servent maintenant d’outils très efficaces au service de l’État (et d’autres acteurs) pour discréditer ou réprimer tout groupe, mouvement ou individu, particulièrement s’il remet en question le statu quo, s’oppose à des politiques ou mesures gouvernementales, ou lutte pour l’émancipation collective.

Que faire alors? Se débarasser du mot « terrorisme » de même que des lois et outils antiterroristes, et remplacer les concept et appareil de « sécurité nationale » par des politiques et mesures visant la protection des personnes.

Pourquoi ne pas simplement réformer nos lois antiterroristes et l’appareil de sécurité nationale pour en corriger les abus et freiner l’érosion des libertés civiles? Voici cinq raisons :

1. La grande malléabilité des mots « terrorisme » et « sécurité nationale »

2. Le mythe du « terroriste musulman »

3. La diversion qui obscurcit la violence étatique

4. Le ciblage des défenseur.ses des terres autochtones et des activistes écologistes

5. L’incapacité de la sécurité nationale à assurer la protection des personnes

  1. La grande malléabilité du « terrorisme » et de la « sécurité nationale »

Bien que le Code criminel du Canada tente de définir clairement le « terrorisme », de nombreux spécialistes estiment que le terme est très malléable et qu’il se prête donc à une multitude de définitions et d’interprétations.

L’article 83.01(1) (b) du Code criminel définit en partie le « terrorisme » comme :

soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger : (i) d’une part, commis à la fois : (A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, (B) en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada.

L’intégration de la composante « politique, religieuse ou idéologique » à la définition d’un crime violent est le premier indice du caractère superflu de la catégorie criminelle. C’est la « violence » qui compte ici, et le Code criminel couvre déjà tous les crimes violents. Ces termes généraux peuvent aussi être aisément employés pour cibler, surveiller et criminaliser certains groupes politiques et religieux sur la seule base d’idées et de demandes qui vont à contre-courant ou qui sont critiques de l’État. Il peut s’agir ici de défenseur.ses des terres autochtones, d’activistes écologistes, d’anarchistes, ou encore de religions particulières et de leurs pratiquant.es considéré.es comme des menaces en raison des actes de quelques-uns, par exemple, les Musulmans et ceux et celles perçu.es comme tels.

Il est presque impossible de parvenir à un consensus sur la définition du « terrorisme » précisément parce que dire que certains crimes sont des actes terroristes et d’autres non, c’est porter un jugement sur le motif qui sous-tend le crime. Or ce jugement dépendra nécessairement de la perspective sociale, raciale, religieuse, politique ou historique des personnes qui le portent. Utiliser le motif de cette manière, comme élément essentiel pour définir et identifier un crime, est étranger au droit pénal, au droit humanitaire et au droit relatif aux crimes contre l’humanité. Si un motif de haine peut constituer un facteur aggravant lors de la détermination de la peine dans le droit pénal traditionnel, le motif ne permet ni d’établir ni d’excuser un crime.

Il n’est dès lors pas possible de formuler une définition du « terrorisme » qui n’englobe ni trop ni trop peu. La définition peut trop englober si elle couvre les crimes ordinaires, la désobéissance civile ou, par le biais d’instruments comme la liste d’entités terroristes du Canada, l’usage justifié de la force contre des gouvernements oppressifs et des forces d’occupation. Elle peut englober trop peu si elle exclut les crimes graves et les attaques contre des civil.es qu’elle devrait logiquement couvrir, mais qu’elle ne couvre pas pour des raisons purement politiques.

Il suffit d’examiner l’application des lois et l’utilisation des outils antiterroristes pour constater leur malléabilité à des fins politiques, racistes, colonialistes.

La Loi antiterroriste de 2001 a été utilisée pour la première fois en 2002 : la GRC y a recouru pour obtenir un mandat de perquisition visant le domicile de deux membres autochtones de la West Coast Warrior Society en Colombie-Britannique. La perquisition a été menée par l’Équipe intégrée de la sécurité nationale (INSET) — une création de la Loi antiterroriste — et n’a rien donné.

Nous savons également que, dès 2001, la GRC surveillait des organismes et des personnes qui militaient dans les domaines des aliments génétiquement modifiés et de l’environnement en faveur de la protection de l’eau, de la préservation des forêts et de la défense des droits des animaux, et les a identifiés, dans la Gazette de la GRC, comme des terroristes potentiels opérant en fonction d’une idéologie plutôt que d’une affiliation. Dans la stratégie antiterroriste du Canada de 2011, Sécurité publique Canada nommait « l’environnementalisme et l’anticapitalisme » comme des exemples d’« extrémisme d’origine intérieure militant pour des causes précises ». Bien que les documents destinés au public aient tempéré ce genre de discours ces dernières années, l’appareil de sécurité de l’État n’a pas cessé de cibler, de surveiller et de criminaliser les activistes et groupes environnementalistes et anticapitalistes.

Cette focalisation a également permis aux mots « extrémisme » et « radicalisation » de stigmatiser encore davantage les idées, les luttes et les cultures qui sortent du courant dominant. De nombreux activistes (de gauche par exemple) se décrivent depuis longtemps comme « radicaux » pour mettre en relief la nécessité de transformer, à leur racine, les structures et les systèmes sociétaux, pour être en mesure d’éradiquer les maux et les problèmes sociaux. De tels activistes seraient considérés comme soumis à un processus de radicalisation. Et une telle position est souvent considérée comme « extrême », car elle se situe en effet loin du statu quo ou du centre de l’échiquier politique. Cependant, aujourd’hui, les mots « extrémisme » et « radicalisation » ont très souvent une connotation péjorative et servent à discréditer ou à diffamer quiconque défie le statu quo, en mettant sur un pied d’égalité les idées de tous les camps, quelles qu’en soient les spécificités.

En outre, nous avons vu que la malléabilité du concept de « terrorisme » et son application politique passent souvent sous silence un grand nombre d’idéologies et de croyances religieuses haineuses ou oppressives. Par exemple, la violence homophobe, misogyne, raciste, colonialiste, transphobe et capacitiste est souvent ignorée ou excusée lorsqu’elle est perpétrée au nom du christianisme, par des personnes blanches ou par l’État, parce que ces trois entités font partie intégrante du courant dominant.

J’ai demandé un jour à une employée de Sécurité publique Canada pourquoi une fraction seulement de l’attention, des ressources et de l’énergie consacrées à la lutte contre le terrorisme était consacrée à la prévention du féminicide, alors qu’une femme ou une fille est tuée tous les 2,5 jours au Canada et que le « terrorisme » a causé moins de décès ici? Elle a répondu que cette question ne faisait pas gagner des votes. Puisque l’État et les médias ont créé le monstre qu’est le « terrorisme », et donc la demande électorale pour l’éliminer, il est clair qu’ils pourraient, s’ils le voulaient, utiliser leurs ressources pour faire de la violence contre les femmes et les filles une question susceptible de préoccuper l’électorat.

  1. Le mythe du « terroriste » musulman

Le mot terrorisme doit aussi disparaître parce qu’il est maintenant associé de manière erronée et dangereuse à l’Islam et aux Musulmans à la suite de décennies de ciblage politique et de poursuites judiciaires ainsi que de représentation disproportionnée et biaisée dans les reportages médiatiques et les films. Cette association est si répandue que chaque fois qu’un acte de violence est perpétré par des Musulmans, on attend des Musulmans qu’ils dénoncent collectivement des actes qui n’ont rien à voir avec eux. Et malgré leurs prises de position répétées contre le terrorisme, les Musulmans sont toujours accusés à tort de ne pas dénoncer le terrorisme.

L’assimilation du terrorisme à l’Islam a mené à l’un des pires massacres de l’histoire du Canada : le meurtre de six hommes musulmans au Centre culturel islamique de Québec le 29 janvier 2017. Le tueur a dit lui-même avoir visé une mosquée parce qu’il croyait que tous les Musulmans étaient des terroristes. Autre exemple de la nature politique du mot « terrorisme », le tireur n’a pas été inculpé d’infraction terroriste, même si l’attaque répond incontestablement à la définition du « terrorisme » du Code criminel. En outre, au Canada, il y a 107 fois plus de chance qu’une personne musulmane soit tuée à cause de l’islamophobie qu’une personne soit tuée par un Musulman. Et cela c’est sans parler de la montée de l’islamophobie au Canada au cours de la dernière décennie, qui peut être liée à cet amalgame invalide entre les Musulmans et le terrorisme.

En juillet 2021, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) et le Centre culturel Noor ont soumis un mémoire sur l’islamophobie au Canada au Sommet national sur l’islamophobie. Dans ce document, la juriste Azeezah Kanji indique que même sans la divulgation de données complètes par les agences, des études menées par des chercheur.es et des organisations de défense des libertés civiles ont documenté à maintes reprises l’impact disproportionné des mesures de sécurité nationale sur les communautés musulmanes. Les lois qui étendent les pouvoirs de l’État en matière de sécurité nationale sans transparence ni contrôle adéquats (comme la Loi antiterroriste de 2015 et la Loi sur la sécurité nationale de 2017) menacent donc de manière disproportionnée les libertés et droits fondamentaux des Musulmans, notamment les droits à la vie privée et à un procès équitable, et les libertés d’expression, de religion et de réunion.

Une étude exhaustive réalisée en 2019 par le professeur de droit Michael Nesbitt sur toutes les poursuites pour terrorisme au Canada depuis 2001 a révélé que 98% d’entre elles visaient des Musulmans ou des accusés liés à des groupes musulmans. La grande majorité n’impliquait aucun acte de violence exécuté. Des mesures précriminelles imposant des restrictions sur la conduite des personnes, telles que les « engagements de ne pas troubler l’ordre public liés au terrorisme », ont également été appliquées en très grande majorité contre les Musulmans.

Des organismes gouvernementaux canadiens ont été complices de la détention arbitraire et de la torture de plusieurs hommes musulmans après le 11 septembre 2001 parmi lesquels figurent les cas notoires de Maher Arar, Ahmad El-Maati, Abdullah Almalki, Muayyed Nureddin, Omar Khadr, Benamar Benatta et Abousfian Abdelrazik. Bien que plusieurs d’entre eux aient reçu des compensations et des excuses après de nombreuses années de lutte, le Comité des Nations Unies contre la torture a condamné le Canada pour avoir continué à faire obstruction à la justice à l’endroit d’autres victimes, en particulier Abousfian Abdelrazik. On ne connaît pas encore toute l’étendue de la complicité canadienne dans le programme international de torture des États-Unis. Des plaignants continuent d’apparaître, comme récemment Mohamedou Ould Salahi, un ancien détenu de Guantanamo et le sujet du film Le Mauritanien, qui tient les agences de sécurité canadiennes responsables de son envoi à la prison de Guantanamo Bay.

De plus, cinq non-citoyens musulmans résidant au Canada ont été visés par des certificats de sécurité fondés sur des preuves secrètes non vérifiées. Ils ont été emprisonnés et soumis à de strictes conditions de libération sous caution sans jamais avoir été accusés, et encore moins reconnus coupables d’un quelconque crime. Deux d’entre eux risquent encore d’être expulsés vers la torture à cause de cet outil qui violent les droits et libertés.

Enfin, Hassan Diab poursuit actuellement le gouvernement canadien pour son rôle dans son extradition injustifiée vers la France sur la base d’allégations terroristes douteuses. Après avoir été détenu là-bas pendant plus de trois ans en isolement, le Dr Diab a finalement été libéré et a pu revenir au Canada en 2018 sans jamais être inculpé, et encore moins condamné, de quoi que ce soit.

  1. La diversion qui obscurcit la violence étatique

Bien que nous soyons socialisés dès le premier jour à comprendre et accepter le monopole de l’État sur la violence, monopole voulant que seul l’État a le droit d’utiliser ou d’autoriser l’utilisation de la force physique, cela ne rend pas la violence d’État juste, nécessaire ou souhaitable. Les États pratiquent une violence terrible contre leurs propres populations et les populations d’autres pays par le biais de la répression policière et des guerres, y compris la « guerre contre le terrorisme ». Étant présenté comme l’une des formes de violence les plus odieuses et méprisables, le terrorisme – qui est par définition le fait d’acteurs non étatiques – sert de diversion à la violence étatique plus fréquente et plus meurtrière. De fait, la violence étatique est une des causes premières de la violence non étatique, comme en témoignent par exemple l’invasion illégale de l’Irak et les centaines de milliers de morts dans la population irakienne, lesquels ont mené à la création de Daech.

En ce qui concerne l’ajout récent de certains groupes suprémacistes blancs, comme les Proud Boys, à la liste d’entités terroristes du Canada, l’écrivain et activiste Matthew Behrens souligne à juste titre que le Canada fait preuve d’hypocrisie et utilise un moyen efficace de diversion en qualifiant ces groupes de terroristes alors même que ceux-ci défendent des idéologies et se livrent à des comportements violents similaires à ceux de l’État. Comme le dit Behrens :

Le premier ministre du Canada, John A. Macdonald, pourrait bien être considéré comme un fondateur des Proud Boys étant donné ses sentiments racistes anti-immigrants et ses politiques génocidaires à l’encontre des nations autochtones. Le désir clairement exprimé du premier ministre William Mackenzie King « que le Canada reste un pays d’hommes blancs » de même que ses restrictions « aucun, c’est encore trop » visant les réfugiés juifs qui fuyaient l’Holocauste nazi ferait de lui un membre honorifique des Proud Boys.

  1. Le ciblage des défenseur.ses des terres autochtones et des activistes écologistes

En 2014 et 2015, la GRC a recueilli des renseignements sur 313 activistes autochtones dans le cadre du projet SITKA, une initiative de surveillance de la GRC ciblant les défenseur.ses des droits des Autochtones.

L’avocat des droits de la personne Paul Champ a obtenu des documents gouvernementaux montrant plus de 500 rapports du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) sur des personnes ou des groupes qui ont protesté contre le projet d’oléoduc Northern Gateway de la compagnie Enbridge.

« [Cela] soulève des inquiétudes puisqu’il ne s’agit pas d’assurer la sécurité nationale, mais de protéger les intérêts économiques du secteur énergétique du Canada ce qui, à notre avis, dépasse complètement le mandat du SCRS », a-t-il déclaré.

La BC Civil Liberties Association (BCCLA) a d’abord contesté les actions du SCRS en 2014 et a déposé une plainte auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (ancien chien de garde du SCRS), alléguant que l’agence espionnait les opposant.es au pipeline. La BCCLA a en outre affirmé que l’information était partagée avec l’Office national de l’énergie et l’industrie pétrolière. La plainte a été rejetée, le comité de surveillance étant parvenu à la conclusion douteuse que le SCRS avait agi correctement puisque les renseignements recueillis sur les manifestant.es pacifiques n’étaient qu’un sous-produit des enquêtes sur des menaces légitimes, et non le but recherché.

En 2019 et 2020, la GRC a attaqué la nation Wet’suwet’en pour s’être opposée à un pipeline traversant son territoire non cédé et a arrêté plusieurs défenseur.ses des terres et leurs allié.es. La GRC continue de harceler la communauté à ce jour.

L’infâme projet de loi C-51 (officiellement la Loi antiterroriste de 2015) présenté par le gouvernement Harper facilite, par le biais de la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, le partage de renseignements personnels des Canadien.nes avec 17 organismes gouvernementaux pour toute activité « qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou à l’intégrité territoriale du Canada ».

La définition originale comprenait également des activités qui « menacent les intérêts économiques et la stabilité financière du pays ». Bien que ces termes aient été supprimés par le gouvernement Trudeau, le ciblage continu des opposant.es aux projets de pipeline et la collusion des agences de sécurité nationale avec les sociétés énergétiques sont des indications claires que les « menaces aux intérêts économiques » de l’État sont toujours synonymes de « menaces à la sécurité nationale ».

Le projet de loi C-59 – la Loi de 2017 sur la sécurité nationale – a été présenté par le gouvernement Trudeau en partie comme une promesse (non tenue) de corriger les problèmes que posait le projet de loi C-51.

C-59 a modifié C-51 de sorte qu’une activité doit « entraver de manière considérable ou à grande échelle le fonctionnement » d’infrastructures essentielles afin d’être considérée comme une menace autorisant le partage d’informations. Ce changement minimal signifie que la loi s’applique toujours aux actes de dissidence environnementale et autochtone, qui impliquent souvent le blocage de ponts et de routes pour protéger l’eau et les terres contre les projets énergétiques dangereux auxquels les communautés n’ont pas consenti. La loi pourrait également couvrir des activités liées aux initiatives et applications de la souveraineté autochtone si elles sont considérées comme « portant atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale du Canada ».

  1. L’incapacité de la sécurité nationale à assurer la protection des personnes

Aujourd’hui, ce n’est pas seulement le mot « terrorisme » qui est utilisé de manière excessive, mais aussi les mots « menace à la sécurité nationale ». Dans le cadre de mon travail, je publie aux deux semaines une Revue de l’actualité contenant des nouvelles liées à l’impact négatif de la sécurité nationale sur les libertés civiles. Pour ce faire, je rassemble et lis de nombreux articles, et j’ai constaté ces dernières années une augmentation des nouvelles et des articles d’opinion qui demandent d’inclure encore plus de sujets dans la définition des menaces pour la sécurité nationale, à savoir la crise climatique, la COVID-19, l’évasion fiscale et même… l’obésité.

La crise climatique et les pandémies, si elles ne sont pas maîtrisées, pourraient conduire à l’effondrement des États, précisément parce qu’elles menacent, et ont déjà pris, tant de vies humaines et non humaines. L’espionnage et la répression étatique ne peuvent pas arrêter les catastrophes climatiques et les virus. Mais les investissements massifs dans les soins de santé, dans les mesures sanitaires et l’équipement protectif, et dans les solutions écologiques le peuvent. Dans tous les cas, il est plus important de sauver des vies que de sauver des États, et c’est ce que nous devons faire en priorité.

En outre, le climat et la COVID ne se soucient guère des frontières nationales, et nous avons vu à quel point une orientation nationale sur des crises mondiales comme celles-ci est inefficace et même dommageable. Enfin, pour assurer la santé des populations et de la planète, nous ne pouvons pas compter sur un appareil d’État qui est fondamentalement raciste et antagoniste, qui fait dans la surveillance et l’incarcération, et qui est dans le camp de l’industrie extractive.

Comme je l’ai mentionné, beaucoup espèrent qu’en désignant ces crises comme des problèmes de sécurité nationale, l’État les prendra enfin au sérieux. Mais pourquoi faut-il qu’une crise soit une « menace pour la sécurité nationale » pour être considérée comme importante ? Notre survie en tant qu’espèce, la santé de la nature non humaine et la mort de millions de personnes ne sont-elles pas suffisamment importantes ? Apparemment non, sinon la justice climatique, les soins de santé et la vie des gens passeraient avant les profits et avant l’intégrité, le territoire et la souveraineté de l’État.

Donner plus de pouvoirs et de ressources à l’appareil de sécurité de l’État pour lutter contre le changement climatique et la pandémie est insensé, et ces pouvoirs et ressources continueront très certainement d’être utilisés pour cibler, harceler et criminaliser les défenseur.ses de la justice climatique, les Musulmans et les Peuples autochtones. L’État canadien utilisera toujours son appareil de sécurité pour préserver son pouvoir et poursuivre ses objectifs colonialistes et capitalistes, car il s’agit là de la visée fondamentale de la « sécurité nationale ».

Étant donné que le Code criminel couvre déjà tous les crimes violents et que, comme nous l’avons vu, le concept de « terrorisme » est malléable et nuisible, il n’est ni nécessaire ni avantageux d’avoir des lois et des outils antiterroristes et de sécurité nationale. Nous devons plutôt démanteler l’appareil de sécurité de l’État, car ses fondements, ses visées et ses actions sont contraires aux droits de la personne et aux libertés civiles au Canada et dans le monde. Toutes les ressources consacrées à la surveillance et à la répression peuvent plutôt être déployées pour assurer une réelle protection des personnes. Avec les millions, voire les milliards économisés, nous pourrions créer des initiatives et des institutions qui favorisent des liens humains et des communautés bienveillantes et solidaires, qui contribueraient également à prévenir la haine, l’oppression et la violence sous toutes leurs formes. Il s’agit notamment de fournir un abri, de la nourriture et des vêtements à tous et toutes, ainsi que de véritables soins de santé universels. Nous pourrions également construire des structures qui donnent aux gens les moyens de prendre des décisions concernant leur vie, et qui permettent à chacun de développer tout son potentiel, dans un environnement naturel sûr et sain propice à l’épanouissement des générations futures. Imaginez les possibilités.

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