La Presse – Si le projet de loi antiterroriste avait été en vigueur pendant le printemps étudiant, les opposants à la hausse des frais de scolarité auraient-ils défié en si grand nombre le règlement municipal P-6, qui force les organisations voulant prendre la rue à fournir leur itinéraire aux autorités? Le coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, Roch Tassé, en doute. La crainte de se voir accoler une étiquette de terroriste aurait probablement refroidi les ardeurs de nombre d’entre eux, croit-il.
Et c’est sans compter que les protestataires ayant pris part à des actions plus vigoureuses comme le blocage de l’accès au port de Montréal ou au pont Jacques-Cartier auraient pu se retrouver avec de sérieuses accusations criminelles sur les bras, avance M. Tassé. «Ce sont deux infrastructures fédérales qui sont importantes pour l’économie du pays. Dans ces deux cas, on pourrait oser croire que le texte de loi actuel pourrait s’appliquer», a-t-il souligné en entrevue téléphonique. Les définitions contenues dans C-51 stipulent que le fait d’entraver la capacité du gouvernement à assurer et la «stabilité économique du Canada», et «le fonctionnement d’infrastructures essentielles», figurent parmi les activités portant atteinte à la sécurité du pays.
L’une de ses principales dispositions prévoit par ailleurs que plusieurs ministères fédéraux pourront partager avec les agences comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) les informations qu’ils détiennent sur les citoyens canadiens. Selon une source au sein du mouvement étudiant, l’agence d’espionnage canadienne suivait de très près les opposants à la hausse des frais de scolarité. «Avant, pendant et après» le conflit, «au moins 20» étudiants ont été rencontrés par des agents du SCRS, a confié cette source. Si la loi antiterroriste que caresse le gouvernement conservateur avait alors été en place, l’agence aurait pu puiser dans une mine d’informations personnelles actuellement confinées dans les dossiers de différents ministères fédéraux. «On aurait pu demander l’historique de voyage d’un individu, son rapport d’impôt, ses dossiers médicaux si possible», a expliqué M. Tassé. «Il n’y aurait pas de limites, il y a 17 ministères qui peuvent partager l’information», a-t-il poursuivi.
Le ministre Blaney a soutenu la semaine passée que les agences sécuritaires ne feraient pas grand cas de manifestations déclarées illégales par les autorités municipales comme P-6 et qu’elles ne partageraient «pas nécessairement» les informations recueillies à l’occasion de ces événements. Invité à commenter les exemples spécifiques du blocage d’un port ou d’un pont, son bureau s’est contenté de réitérer par courriel, lundi soir, que «C-51 vise les terroristes, pas des manifestants». Aux yeux de Roch Tassé, la parole de l’élu conservateur ne suffit pas, même en présumant de la «bonne foi» du gouvernement en place: il faut que les balises soient clairement établies dans le texte de loi, qui lui seul garantit le respect des protections constitutionnelles, insiste-t-il. Lire plus