Par Monia Mazigh – Le récent appel du commissaire de la GRC, Bob Paulson, à la population canadienne sur le besoin urgent d’avoir accès sans mandat à nos communications est inquiétant pour plusieurs raisons.
La lutte contre la cybercriminalité est cruciale ainsi que la lutte contre toutes les autres formes de crimes, mais elle ne doit jamais se faire au détriment de notre droit à la vie privée. Peu importe les raisons, aussi nobles et authentiques qu’elles puissent être – telle que la lutte contre les horribles auteurs de pornographie juvénile, par exemple – elles ne peuvent être utilisées comme prétexte pour recueillir sans mandat des données sur les utilisateurs d’Internet.
Le climat de peur et d’incertitude qui a suivi les attaques de Paris ne devrait pas non plus être utilisé comme une carte blanche pour demander à la population l’accès à leurs téléphones sans mandat.
Plus important encore, nous devons nous rappeler ici que le Canada a déjà de nombreux outils juridiques (controversés, en tout honnêteté) pour lutter contre ce que M. Paulson semble être incapable de combattre – et que la stratégie utilisée pour les obtenir est des plus familières.
En 2009, le gouvernement canadien a jumelé les projets de loi C-46 et C-47 (deux projets de loi qui n’avaient jusqu’à ce moment la pas été adoptés) et a essayé de les présenter au Parlement. Les deux projets visaient à étendre les dispositions sur l’accès légal et de créer des accès de la police sans mandat à de nombreux aspects de la communication de l’Internet telles que les données d’abonnés. Mais cette tentative a échoué.
En 2012, le gouvernement a essayé de nouveau avec le projet de loi C-30. Il a affirmé que C-30 visait à lutter contre la pornographie juvénile. En réalité, ce projet de loi aurait également permis aux entreprises fournissant l’accès à l’Internet de donner votre nom, votre adresse de protocole Internet et autres identifiants à la police simplement sur demande, même sans mandat. Ce projet de loi aurait également permis au gouvernement de faciliter, la surveillance centralisée de type mise sur écoute
À cette époque, le ministre de la Justice du Canada, Vic Toews, a suscité un tollé avec le projet de loi C-30. En fait, il a essayé d’utiliser l’argument controversé: “vous êtes soit avec nous ou avec les partisans de la pornographie juvénile”. Une énorme réaction du public a suivi et le projet de loi a échoué.
Enfin, en 2014, le gouvernement est revenu à la charge avec le projet de loi C-13: la “Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité”. Le gouvernement a présenté ce projet de loi pour lutter contre la cyberintimidation. Cependant, cette nouvelle loi ne prévoit que des dispositions permettant un accès accru et sans mandate aux renseignements personnels et augmentent les capacités d’espionnage de la police sur nos activités en ligne. L’opposition officielle à l’époque suggéra de diviser le projet de loi conservateur sur la cyber-intimidation (C-13) afin de mettre l’accent sur la réforme législative et rendre illégale la distribution d’images intimes sans le consentement. Ainsi les autres dispositions sans lien avec la cyber-intimidation auraient pu être traitées séparément. Mais cette dernière proposition n’a pas été adoptée et le projet de loi C-13 est devenu loi avec l’appui des Libéraux.
M. Paulson a semblé se demander pourquoi le public ne fait pas confiance à la police. Une réponse simple est de regarder toutes les erreurs que la police a commises dans le passé et le manque de responsabilité.
Une façon d’augmenter ou de rétablir la confiance envers les forces de l’ordre est de mettre en place des mécanismes solides de responsabilisation et non pas en demandant des pouvoirs supplémentaires sans mandat, ce qui ouvrirait la porte à de probables abus et encore moins de confiance.