Cet essai fait partie de la nouvelle publication du 20e anniversaire de la CSILC, Défendre les libertés civiles à l’ère de la sécurité nationale et de la guerre au terrorisme. Assistez au lancement en ligne le 11 septembre 2024 à 19 h HE (en anglais). Cliquez ici pour pour vous inscrire.
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Par Roch Tassé
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis, et le Canada sous la pression de son voisin, se sont empressés d’adopter une série de lois antiterroristes et d’autres mesures de lutte contre le terrorisme, notamment dans les domaines du contrôle des frontières, du transport aérien et de listes d’entités terroristes. Ces mesures ont mené à un déploiement sans précédent de technologies de surveillance et de collecte de données sur les individus ainsi qu’à des pratiques de tri social et de profilage, qui ont décimé les régimes de protection de la vie privée jusqu’alors considérés comme un droit fondamental dans les soi-disant démocraties.
La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) est née des inquiétudes soulevées par l’impact de ces lois et mesures sur les libertés civiles, les droits de la personne, la protection des réfugié⋅es, le droit humanitaire international, la justice raciale, la dissidence politique et le système judiciaire.
La coalition a été créée en mai 2002, six mois après l’adoption de la Loi antiterroriste du Canada en 2001, pour servir de forum d’échange d’informations, d’action collective et d’élaboration de positions politiques communes dans le but de protéger l’État de droit, les libertés civiles et les droits de la personne contre les assauts menés au nom de la sécurité nationale. Elle rassemble des ONG humanitaires et de développement international, des syndicats, des associations professionnelles, des groupes confessionnels, des organisations environnementales, des défenseurs des droits de la personne et des libertés civiles ainsi que des groupes représentant les communautés d’immigrant⋅es et de réfugié⋅es au Canada.
Les principaux objectifs de notre travail étaient alors d’analyser la législation, de surveiller son application et de documenter l’impact de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » en vue d’intervenir lors de l’examen parlementaire de la Loi antiterroriste, qui devait avoir lieu cinq ans après son adoption.
Pour ce faire, nous avons établi de manière proactive des collaborations et des alliances avec nos homologues internationaux. Au niveau national, nous nous sommes rapproché⋅es d’autres groupes de défense des libertés civiles, d’organisations communautaires et de partenaires des communautés juridiques et académiques. Entretenir ces relations et construire des réseaux, c’est ce qui a caractérisé le travail de la CSILC lors des nombreuses campagnes menées au cours des 20 années qui ont suivi. Tout au long de notre parcours, nous avons collaboré avec des militant⋅es, chercheur⋅es, juristes et avocat⋅es spécialisé⋅es dans les droits de la personne parmi les plus compétent⋅es et les plus engagé⋅es du Canada.
Très tôt, nous avons aussi engagé le dialogue avec les décideur⋅ses politiques et les médias, et nous nous sommes rapidement imposé⋅es comme une voix crédible sur la Colline. La CSILC a comparu devant de nombreux comités parlementaires au fil des ans et maintient une présence soutenue dans les grands médias du pays.
Mais notre travail de recherche et d’analyse des politiques ne nous a pas caché le visage humain de l’antiterrorisme, qui a orienté notre programme pendant deux décennies.
À l’automne 2002, nous avons fait la connaissance de Monia Mazigh lors d’une réunion à Amnistie internationale Canada. La CIA avait fait disparaître son mari et l’avait envoyé en Syrie où il était torturé dans le cadre du programme états-unien de restitution. Le cas de Maher Arar a révélé et confirmé l’existence de ce programme infâme. Au cours de l’année suivante, la CSILC et ses membres ont soutenu Monia dans une campagne acharnée pour le rapatriement de son mari, contre les efforts du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour bloquer son retour au Canada.
Puis, en décembre 2002, un certificat de sécurité a été délivré à l’encontre de Mohamed Harkat. Son cas et ceux de quatre autres hommes ont marqué le début d’une série d’interventions de la CSILC sur la question des « procès secrets » et des déportations comportant des risques de torture. Ces cas et d’autres seront abordés dans les textes suivants.
2004 : Commission O’Connor
Après le retour de Maher Arar au Canada, à l’automne 2003, la CSILC a exercé des pressions et mobilisé du soutien pour la tenue d’une enquête publique sur les événements ayant conduit à la restitution de Maher Arar. En janvier 2004, le gouvernement libéral a créé une commission d’enquête chargée d’examiner les actions des responsables canadiens relativement à l’affaire Arar. Présidée par le juge Denis O’Connor, la Commission a également été chargée de formuler des recommandations concernant le contrôle et l’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale.
La CSILC a obtenu le statut d’intervenante auprès de la Commission et, au cours des deux années suivantes, nous avons suivi l’ensemble du processus et assisté à presque toutes les audiences. Durant les procédures, la CSILC a été invitée par le juge O’Connor à participer à une table ronde sur le contrôle et l’examen des opérations de sécurité nationale. Dans leur présentation finale à la Commission, nos avocats, feu Warren Allmand et Me Denis Barrette, ont proposé un mécanisme détaillé de plainte et d’examen.
Dans son rapport final de septembre 2006, la Commission a exonéré Maher Arar et conclu que les autorités canadiennes avaient fourni aux États-Unis des renseignements erronés à son sujet. Le juge O’Connor a également recommandé la création d’un mécanisme intégré de contrôle et de plainte pour tous les organismes canadiens de renseignement et de sécurité. Le modèle recommandé diffère de celui proposé par la CSILC, mais en reprend de nombreux éléments.
2007 : Commission Iacobucci
L’enquête sur l’affaire Arar a révélé que trois autres Canadiens, Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayed Nureddin, avaient également été détenus et torturés en Syrie et en Égypte avec la complicité de responsables canadiens. La CSILC et un groupe d’intervenant⋅es ont recommandé au juge O’Connor que soit tenue une seconde enquête sur ces cas, recommandation que le juge a incluse dans son rapport final.
Pour y faire suite, le gouvernement a créé, en 2007, la Commission d’enquête Iacobucci et l’a chargée d’examiner la nature des échanges de renseignements entre le Canada et d’autres pays, notamment les États-Unis, la Syrie et l’Égypte. La Commission a également cherché à déterminer si des responsables canadiens s’étaient rendus complices des abus présumés.
Une fois de plus, la CSILC a demandé et obtenu le statut d’intervenante, mais la plupart des travaux de la Commission se sont déroulés à huis clos, sans grande possibilité d’intervenir. Le juge Iacobucci a néanmoins conclu que si le gouvernement canadien n’était pas directement responsable de la torture d’Almalki, d’Elmaati et de Nureddin, les mauvais traitements que ceux-ci avaient subis découlaient indirectement des actions des responsables canadiens, vraisemblablement en raison de la transmission de renseignements erronés.
2009 : Présentation d’une motion de soutien aux recommandations de la Commission O’Connor à la Chambre des Communes
À la suite des deux enquêtes, la CSILC et Amnistie internationale Canada ont exercé des pressions soutenues auprès des député⋅es pour qu’iels soutiennent la mise en œuvre des recommandations de la Commission O’Connor. En décembre 2009, toustes les député⋅es, à l’exception des député⋅es du Parti conservateur, ont voté en faveur d’une motion soutenant ces recommandations. La motion demandait également au gouvernement de présenter des excuses à Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin. Le gouvernement conservateur a choisi d’ignorer les recommandations de la Commission O’Connor et les trois hommes ont dû attendre jusqu’en 2017 pour recevoir des excuses.
2014 : Conférence Arar +10
Nous avons persévéré. En 2014, en collaboration avec Amnistie internationale Canada et le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne de l’Université d’Ottawa, la CSILC a organisé un symposium de haut niveau pour marquer le 10e anniversaire de l’enquête Arar. L’événement a réuni des acteurs clés des commissions, notamment les juges O’Connor et Iacobucci, ainsi que le juge Major, qui avait présidé l’enquête sur l’attentat à la bombe contre Air India. Les trois juges ont discuté de l’état de la sécurité nationale et des droits de la personne, ainsi que de la mise en œuvre (ou de l’absence de mise en œuvre) des recommandations qu’ils avaient formulées pour empêcher que les violations des droits de la personne ne se reproduisent.
Organisé au lendemain de la fusillade du 22 octobre sur la Colline du Parlement, l’événement a suscité une énorme couverture médiatique et ravivé l’attention du public sur la nécessité de mécanismes de contrôle, au moment où le gouvernement Harper s’apprêtait à élargir encore davantage les pouvoirs des agences de sécurité nationale par le dépôt du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015.
Il a fallu cinq ans au gouvernement libéral, après une consultation nationale à laquelle les membres de la CSILC ont largement contribué, pour finalement créer l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) en juin 2019 dans le cadre du projet de loi C-59, une tentative ratée de « réparer » le projet de loi C-51. Il s’agit d’un organisme intégré de surveillance qui a le mandat d’examiner toutes les activités de sécurité nationale du Canada, sans égard à l’organisme ou au ministère dont relèvent ces activités, dans l’esprit du modèle proposé par la CSILC à la Commission O’Connor treize ans plus tôt.
Le chapitre commencé le jour où nous avons rencontré Monia Mazigh en 2002 s’est finalement clos. Mais c’est loin d’être le dernier chapitre de l’histoire de la CSILC.
Roch Tassé milite pour les droits de la personne et la justice sociale. Il a aussi occupé le poste de coordonnateur national à la CSILC.
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