La perte des droits de la personne dans la « guerre contre le terrorisme » : le cas de Hassan Diab

Hassan Diab (au centre à gauche) devant le Parlement avec (de gauche à droite) Don Bayne, avocat; Rania Tfaily, professeure et épouse d’Hassan Diab; Alex Neve, Amnesty International Canada; Roger Clark, Justice pour Hassan Diab; et Tim McSorley, CSILC. Crédit : Alex Neve

Par Roger Clark

Nous avons tendance à considérer la « guerre contre le terrorisme » comme un phénomène du XXIe siècle, inextricablement lié au 11 septembre et à la guerre en Afghanistan qui en a découlé. Je souhaite apporter un éclairage différent à ce sujet, à la lumière de l’attentat meurtrier perpétré devant une synagogue à Paris, une vingtaine d’années plus tôt. À la suite de cet attentat, Hassan Diab est devenu une cible commode et une personnification opportune de la menace terroriste, du moins de la façon dont elle est formulée par l’Occident. Il en est résulté une scandaleuse erreur judiciaire dont Hassan Diab est encore aujourd’hui la victime. En effet, la France décida d’ouvrir un procès motivé par des raisons politiques en avril 2023 et, de manière choquante – malgré des preuves du contraire – a déclaré Hassan Diab coupable par contumace ce mois-là.

Le 4 août 1978, la Convention européenne pour la répression du terrorisme est entrée en vigueur. De ce fait, les pays membres du Conseil de l’Europe voulaient renforcer la coopération à la fois à l’échelon national – par le biais de politiques de prévention – et à l’échelle internationale – en modifiant les accords d’extradition et d’assistance mutuelle existants. Les pays membres ont déclaré en soutien à cette convention qu’ils étaient :

Conscients de l’inquiétude croissante causée par l’augmentation des actes de terrorisme; désireux de prendre des mesures efficaces pour que les auteurices de ces actes n’échappent pas aux poursuites et aux sanctions; convaincus que l’extradition est une mesure particulièrement efficace pour parvenir à ce résultat [c’est l’auteur qui souligne].

Il n’est donc pas surprenant que le Canada se soit déjà activement attelé à aligner sa législation en matière d’extradition, ancienne et dépassée, sur celle de ses alliés européens. La Loi sur l’extradition qui en découle est entrée en vigueur en juin 1999. Ses failles et ses dysfonctionnements sont aujourd’hui évidents aux yeux de toustes, en grande partie à la suite de l’expérience de ceulles qui ont été pris⋅es au piège de ses dispositifs d’approbation automatique.

En septembre 2022, la décision prise par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne « d’entreprendre une analyse approfondie sur la réforme de la loi sur l’extradition », en vue d’obtenir des recommandations[1] sur « la manière de remanier le système actuel », constitue une lueur d’espoir dans ce contexte judiciaire obscur. Pour reformuler une expression populaire : « quand c’est brisé, il vaut mieux réparer ».

Ce n’est pas un hasard si l’enquête sur l’attentat meurtrier du 3 octobre 1980 devant la synagogue de la rue Copernic, à Paris, a soudainement été réactivée en 1999. L’affaire est restée en suspens pendant près de 20 ans. Des renseignements secrets sans source et non vérifiés ont mentionné le nom de « Hassan Diab ». Huit ans se sont écoulés avant que la France ne demande l’arrestation et l’extradition d’Hassan.

Ce n’est ni le lieu ni le moment d’analyser les cinq années de procédures judiciaires qui ont abouti à l’embarquement d’Hassan Diab dans un avion pour Paris, le 14 novembre 2014. Il a passé trente-huit mois à la prison de Fleury-Mérogis, la plupart du temps en isolement. Les deux juges d’instruction antiterroristes chargés de l’affaire ont conclu qu’il n’y avait pas de preuves justifiant le renvoi de Hassan devant un tribunal. Il a été libéré sans condition et renvoyé au Canada le 15 janvier 2018. Jusqu’à 2023, il n’avait jamais été inculpé ni jugé. Quinze ans après son extradition, le cauchemar continue avec sa condamnation en France.

Je terminerai par cette brève citation tirée de la décision du juge Robert Maranger approuvant l’extradition de Hassan en 2011 : « […] le dossier présenté par la République française à l’encontre de M. Diab est faible; les perspectives de condamnation dans le cadre d’un procès équitable semblent peu probables. »

Tout est dit.

Je tiens à remercier la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) pour le travail remarquable qu’elle accomplit depuis tant d’années. Tim et Xan méritent notre reconnaissance collective pour avoir conçu et développé cet espace essentiel où la collaboration, les partenariats et le courage mis au service de la défense des droits de la personne peuvent s’épanouir et devenir plus efficaces.

Pour plus d’informations et pour agir : justiceforhassandiab.org et iclmg.ca/fr/lettre-diab


Roger Clark est l’ancien directeur d’Amnistie internationale (Canada), un militant de longue date qui œuvre pour la promotion, la protection et le respect des droits de la personne à l’échelle internationale.

Note de bas de page

[1] Le rapport de l’étude a été publié depuis : Randeep Sarai, Réforme du régime canadien d’extradition : Rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Parlement du Canada, Juin 2023 : https://www.noscommunes.ca/documentviewer/fr/44-1/JUST/rapport-13

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