La mobilisation internationale contre la surveillance

Crédit: Vicente Méndez

Par Maureen Webb

2005 : Campagne internationale contre la surveillance globale

En 2005, à Ottawa, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) a organisé un sommet réunissant des ONG du monde entier afin de discuter des préoccupations liées aux mesures de plus en plus mondialisées prises par les gouvernements dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».

Grâce aux relations nouées au fil des ans par Roch Tassé (le premier coordonnateur national de la CSILC) et Brian Murphy (un membre de son comité directeur), cette rencontre a regroupé des acteurs importants, notamment Statewatch de l’UE, Walden Bello et son groupe Focus on the Global South, l’American Civil Liberties Union, le Center for Constitutional Rights des États-Unis et la Ligue des droits et libertés du Québec. Ces organismes se sont réunis à Ottawa pendant quatre jours pour y mener des discussions approfondies sur ce qui se passe sur leurs territoires respectifs.

Nous avons constaté que les gouvernements adoptent des mesures similaires, de manière coordonnée et en étroite collaboration, par l’intermédiaire d’organismes supranationaux opaques et non imputables, dans le but de mettre en place des dispositifs sans aucun débat démocratique à l’échelon national. Et nous avons estimé que les éléments de ce schéma – ce nouveau tournant sombre dans la gouvernance mondiale – devaient être reliés, compris et contrés à l’échelle internationale par une coalition mondiale de groupes locaux de la société civile.

Cette semaine-là, le travail accompli fut déterminant, car en nous réunissant depuis nos pays respectifs, nous avons pu identifier la « guerre au terrorisme » pour ce qu’elle est, une prise de pouvoir coordonnée et antidémocratique, préparant le terrain pour l’érosion de la souveraineté et des droits constitutionnels garantis à l’échelle nationale, au cours des décennies à venir.

On peut conclure que le complexe mondial industriel de surveillance a mis au point son scénario et son infrastructure pendant les années de guerre contre le terrorisme, et qu’il a réussi à convaincre les populations de se retourner contre « l’Autre » – encore maintenant, les musulman⋅es et, dans de nombreux pays, les opposant⋅es politiques. Au cours des trois dernières années, ce même complexe industriel de surveillance a expérimenté la mise en place d’un scénario et d’une infrastructure similaires pour « le reste d’entre nous ». Des mesures ont été prises pour faire de la carte d’identité numérique et de la monnaie numérique de banque centrale les fondements d’une nouvelle économie. Le complexe a remporté un succès inquiétant en incitant les gens à adopter le type de systèmes « d’incitatifs » et de « crédit social » qui transformeront nos démocraties en société de surveillance de plus en plus verrouillée et contrôlée. Même si un grand nombre de personnes ont négligé ce phénomène, ceulles d’entre nous qui luttent depuis vingt ans contre les excès de la surveillance en matière de sécurité nationale reconnaîtront aisément les antécédents et les dangers de ce régime émergent.[1]

Pendant les quatre jours du sommet, nous avons conçu et endossé une campagne internationale contre la surveillance globale (CICSG) – mieux connue sous l’acronyme anglais ICAMS – pour laquelle Ben Hayes de Statewatch et moi-même avons rédigé l’analyse centrale.

Soutenue par les organisations présentes au sommet, la campagne a été lancée simultanément en avril 2005 à San Francisco, Ottawa et Londres. Elle a ensuite été présentée au Forum social mondial de Porto Alegre. Près de 300 organisations de la société civile ont signé le Manifeste de la CICSG au cours de l’année suivante.

Les personnes qui ont participé au sommet de 2005 sont devenues de proches collègues, collaboratrices ainsi que des conseillères de confiance de la CSILC. Nombre d’entre elles étaient de retour à Ottawa quelques années plus tard pour participer à un colloque d’expert⋅es de l’international organisé par la CSILC et la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Ce colloque avait pour but de rédiger les Principes d’Ottawa, une codification des principaux domaines du droit international relatifs aux mesures antiterroristes prises par les gouvernements. L’un des enseignements tirés de la démarche du Sommet de 2005 est que rien ne remplace les relations de travail en personne. La venue à Ottawa de représentant⋅es de chacun de ces groupes a constitué un investissement qui s’est avéré fructueux dans les années à venir.

2006 : Conférence internationale des Commissaires à la protection de la vie privée

En 2006, à Montréal, Roch Tassé et Patricia Poirier ont organisé le Forum de la société civile qui s’est tenu parallèlement à la Conférence internationale des commissaires à la protection de la vie privée. Les recommandations du Forum ont repris le contenu du Manifeste de la CICSG. En 2009, à Madrid, le Manifeste a été largement adopté lors des séances de la société civile de la Conférence internationale des commissaires à la protection de la vie privée. Il a été reformulé sous le titre de Déclaration de Madrid sur les normes mondiales de protection de la vie privée dans un monde global.

2007 : L’illusion sécuritaire

De 2005 à 2006, j’ai écrit un livre fondé sur l’analyse de la CICSG, L’illusion sécuritaire : Fichage, torture… personne n’est à l’abri (traduction de Illusions of Security: Global Surveillance and Democracy in the Post -9-11 World). Ce livre a été publié en 2007 par la maison d’édition City Lights de San Francisco. En écrivant ce livre, j’espérais influencer davantage les politiques gouvernementales et sensibiliser les citoyen⋅nes aux questions de surveillance dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».

J’ai accordé des entrevues à Democracy Now!, à l’émission The National de la CBC avec Peter Mansbridge, à BBC’s World Service, à Chicago Public Radio, à Air America, au Ottawa Citizen, à la Montreal Gazette, à la télévision mexicaine, à El Periodico de Barcelone, au Winnipeg Free Press, et même au magazine Playboy. Pour vous donner une idée de la portée de mon message, j’ai notamment pris la parole devant le Chicago Council on Global Affairs, le World Affairs Council of California, le congrès international de l’Association canadienne pour les études sur la sécurité et le renseignement (à laquelle ont participé le Service canadien du renseignement de sécurité, le MI5 du Royaume-Uni, et le FBI et la CIA des États-Unis), la Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation, certains festivals de cinéma et de nombreuses universités.

Une grande partie de ce qui avait été prédit en 2005 sur la surveillance mondiale, dans le cadre de la CICSG, et en 2007 dans mon livre, s’est avérée et fut confirmée lors des révélations de Snowden en 2013. Par ailleurs, rappelons que la technologie de surveillance a fait des progrès considérables depuis. Ainsi, les systèmes d’identification numérique que nous avons observés pendant la pandémie et dans les récents plans de gouvernance mondiale constituent, à mon avis, le combat du siècle pour les libertés civiles.


Maureen Webb est avocate en droit constitutionnel et droits de la personne. Elle a écrit Coding Democracy (MIT Press, 2020) et Illusions of Security (City Lights, 2007). mitpress.mit.edu/author/maureen-webb-28478 & ubc.academia.edu/MaureenWebb

Note de bas de page

[1] Centre pour les droits humains et la justice mondiale, « Paving a Digital Road to Hell? A Primer on the Role of the World Bank and Global Networks in Promoting Digital ID » (Paver la voie de l’enfer numérique? Une introduction au rôle de la Banque mondiale et des réseaux mondiaux dans la promotion de l’identification numérique), NYU School of Law, juin 2022.

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