La lutte contre la législation antiterroriste

Manifestation contre le projet de loi C-51 sur la colline du Parlement. Crédit: Obert Madondo

Par Dominique Peschard

On m’a confié la tâche colossale de présenter en moins de 1000 mots 20 ans de travail de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) entourant la législation antiterroriste. Il est impossible dans un texte aussi court d’énumérer toutes les interventions relatives à une multitude de textes législatifs. Je me concentrerai donc sur certaines des principales interventions qui illustrent les principes qui ont guidé le travail de la CSILC tout au long de ces années.

La première intervention majeure, qui a donné le ton à toutes les positions ultérieures de la CSILC, fut le rapport intitulé Dans l’ombre de la loi. Il a été soumis par la CSILC en mars 2003 en réponse au premier rapport annuel de Justice Canada sur l’application de la Loi antiterroriste, précédemment le projet de loi C-36. Le rapport soulignait une série de préoccupations fondamentales concernant la « guerre contre le terrorisme » lancée au lendemain du 11 septembre 2001 :

  • L’introduction de la criminalité terroriste dans le Code criminel canadien. La CSILC a souligné à juste titre que les actes terroristes étaient déjà qualifiés de crimes, et que la définition large et imprécise de ce qui constitue « le terrorisme, la facilitation du terrorisme et le financement du terrorisme » pouvait viser une série d’activités de dissidence politique n’ayant rien à voir avec le terrorisme.
  • L’utilisation de l’argument « pour des raisons de sécurité nationale » prive les personnes de leurs libertés et du droit à connaître les « preuves » retenues contre elles. D’autres articles de cette publication fournissent plusieurs exemples de déni du droit à une procédure régulière et à un procès équitable.
  • L’association du terrorisme à l’islam a conduit au profilage racial de toute une communauté.
  • Les pouvoirs de surveillance accordés aux agences de police et de sécurité, et la constitution de vastes banques de données sans possibilité de corriger les erreurs.
  • Les accords sur le partage d’informations avec les États-Unis, sans aucun contrôle quant à l’utilisation de ces informations.
  • L’absence de contrôle et d’imputabilité sur l’utilisation de ces nouveaux pouvoirs extraordinaires.

Le rapport conclut en soulignant que la sécurité ne s’obtient pas en limitant les libertés; au contraire, ce sont les libertés qui garantissent notre sécurité.

Par la suite, en 2006, lors de l’examen parlementaire de la Loi antiterroriste, la CSILC a joué un rôle crucial dans la position finale adoptée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Bloc québécois. Elle a également contribué à la rédaction de deux rapports minoritaires déposés au Parlement par ces partis d’opposition. Les rapports minoritaires réclamaient l’abrogation de la loi antiterroriste.

Une longue lutte s’est déroulée entre 2006 et 2011, lorsqu’un gouvernement conservateur minoritaire a tenté de réintroduire deux dispositions (les audiences d’investigation et la détention préventive) qui étaient expirées en raison d’une clause de caducité dans la Loi antiterroriste. La campagne et le plaidoyer des partis d’opposition contre la réintroduction de ces dispositions ont été couronnés de succès… jusqu’à ce que les conservateurs obtiennent la majorité en 2011.

À l’automne 2014, le gouvernement conservateur a saisi le prétexte de l’assassinat de deux militaires canadiens par deux individus isolés pour présenter et adopter le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015, le texte législatif antiterroriste le plus important depuis la Loi antiterroriste de 2001. Entre autres choses, C-51 mit en place un vaste système d’échange d’informations entre les ministères, prolongea la durée de détention d’une personne avant sa comparution devant un juge et donna au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le pouvoir de commettre des actes illégaux clandestins. La CSILC a joué un rôle très actif au sein d’une large coalition d’organisations opposées au projet de loi C-51. Cette coalition a réussi à sensibiliser et à mobiliser une partie importante de la population contre ce projet de loi.

Manifestation à Ottawa contre le projet de loi C-51. Crédit : Parti communiste du Canada

Après le retour des libéraux au pouvoir en 2015, la CSILC ainsi que plusieurs autres organisations ont entrepris une campagne pour l’abrogation du projet de loi C-51. Mais le gouvernement a ignoré les nombreuses voix qui réclamaient cette abrogation. Il a préféré présenter et adopter un autre texte législatif antiterroriste, le projet de loi C-59, la Loi de 2017 sur la sécurité nationale. Non seulement la loi C-59 n’a pas résolu les problèmes engendrés par la loi C-51, mais elle en a soulevé d’autres. Par exemple, elle a accordé au Centre de la sécurité des télécommunications – la NSA canadienne – le pouvoir de mener des activités cybernétiques défensives et offensives sur le territoire national et à l’étranger. Néanmoins, le projet de loi C-59 constitue une victoire partielle. Depuis 2006, la CSILC a fait campagne sans relâche pour la mise en œuvre d’un mécanisme d’examen pour tous les organismes de sécurité nationale. Ce mécanisme avait été proposé par le juge O’Connor dans son deuxième rapport, à la suite de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Le gouvernement a finalement répondu à cette demande en créant l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.

Au fil des ans, la CSILC est systématiquement intervenue devant des comités parlementaires pour contester les attaques législatives contre les droits et libertés et, plus largement, pour informer les député⋅es des dangers inhérents aux mesures qu’on leur demandait d’adopter. La CSILC a également travaillé activement, seule ou au sein de coalitions, pour tenir les citoyen⋅nes informé⋅es sur ces questions. En conséquence, iels sont aujourd’hui plus critiques et plus méfiant⋅es à l’égard des nouvelles mesures de surveillance ou de sécurité qui portent atteinte aux libertés civiles et aux droits de la personne.


Dominique Peschard est coprésident de la CSILC depuis 2012 et il a présidé la Ligue des droits et libertés (LDL) de 2007 à 2015. Il est actuellement membre du comité de la LDL « Surveillance des populations, intelligence artificielle et droits humains ».

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