La lutte contre la législation antiterroriste

Manifestation à Montréal contre le projet de loi C-59. Crédit : cpcml.ca

Par Dominique Peschard

On m’a confié la tâche colossale de présenter en moins de 1000 mots 20 ans de travail de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) entourant la législation antiterroriste. Il est impossible dans un texte aussi court d’énumérer toutes les interventions relatives à une multitude de textes législatifs. Je me concentrerai donc sur certaines des principales interventions qui illustrent les principes qui ont guidé le travail de la CSILC tout au long de ces années.

La première intervention majeure, qui a donné le ton à toutes les positions ultérieures de la CSILC, fut le rapport intitulé Dans l’ombre de la loi. Il a été soumis par la CSILC en mars 2003 en réponse au premier rapport annuel de Justice Canada sur l’application de la Loi antiterroriste, précédemment le projet de loi C-36. Le rapport soulignait une série de préoccupations fondamentales concernant la « guerre contre le terrorisme » lancée au lendemain du 11 septembre 2001 :

  • L’introduction de la criminalité terroriste dans le Code criminel canadien. La CSILC a souligné à juste titre que les actes terroristes étaient déjà qualifiés de crimes, et que la définition large et imprécise de ce qui constitue « le terrorisme, la facilitation du terrorisme et le financement du terrorisme » pouvait viser une série d’activités de dissidence politique n’ayant rien à voir avec le terrorisme.
  • L’utilisation de l’argument « pour des raisons de sécurité nationale » prive les personnes de leurs libertés et du droit à connaître les « preuves » retenues contre elles. D’autres articles de cette publication fournissent plusieurs exemples de déni du droit à une procédure régulière et à un procès équitable.
  • L’association du terrorisme à l’islam a conduit au profilage racial de toute une communauté.
  • Les pouvoirs de surveillance accordés aux agences de police et de sécurité, et la constitution de vastes banques de données sans possibilité de corriger les erreurs.
  • Les accords sur le partage d’informations avec les États-Unis, sans aucun contrôle quant à l’utilisation de ces informations.
  • L’absence de contrôle et d’imputabilité sur l’utilisation de ces nouveaux pouvoirs extraordinaires.

Le rapport conclut en soulignant que la sécurité ne s’obtient pas en limitant les libertés; au contraire, ce sont les libertés qui garantissent notre sécurité.

Par la suite, en 2006, lors de l’examen parlementaire de la Loi antiterroriste, la CSILC a joué un rôle crucial dans la position finale adoptée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Bloc québécois. Elle a également contribué à la rédaction de deux rapports minoritaires déposés au Parlement par ces partis d’opposition. Les rapports minoritaires réclamaient l’abrogation de la loi antiterroriste.

Une longue lutte s’est déroulée entre 2006 et 2011, lorsqu’un gouvernement conservateur minoritaire a tenté de réintroduire deux dispositions (les audiences d’investigation et la détention préventive) qui étaient expirées en raison d’une clause de caducité dans la Loi antiterroriste. La campagne et le plaidoyer des partis d’opposition contre la réintroduction de ces dispositions ont été couronnés de succès… jusqu’à ce que les conservateurs obtiennent la majorité en 2011.

À l’automne 2014, le gouvernement conservateur a saisi le prétexte de l’assassinat de deux militaires canadiens par deux individus isolés pour présenter et adopter le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015, le texte législatif antiterroriste le plus important depuis la Loi antiterroriste de 2001. Entre autres choses, C-51 mit en place un vaste système d’échange d’informations entre les ministères, prolongea la durée de détention d’une personne avant sa comparution devant un juge et donna au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le pouvoir de commettre des actes illégaux clandestins. La CSILC a joué un rôle très actif au sein d’une large coalition d’organisations opposées au projet de loi C-51. Cette coalition a réussi à sensibiliser et à mobiliser une partie importante de la population contre ce projet de loi.

Manifestation à Ottawa contre le projet de loi C-51. Crédit : Parti communiste du Canada

Après le retour des libéraux au pouvoir en 2015, la CSILC ainsi que plusieurs autres organisations ont entrepris une campagne pour l’abrogation du projet de loi C-51. Mais le gouvernement a ignoré les nombreuses voix qui réclamaient cette abrogation. Il a préféré présenter et adopter un autre texte législatif antiterroriste, le projet de loi C-59, la Loi de 2017 sur la sécurité nationale. Non seulement la loi C-59 n’a pas résolu les problèmes engendrés par la loi C-51, mais elle en a soulevé d’autres. Par exemple, elle a accordé au Centre de la sécurité des télécommunications – la NSA canadienne – le pouvoir de mener des activités cybernétiques défensives et offensives sur le territoire national et à l’étranger. Néanmoins, le projet de loi C-59 constitue une victoire partielle. Depuis 2006, la CSILC a fait campagne sans relâche pour la mise en œuvre d’un mécanisme d’examen pour tous les organismes de sécurité nationale. Ce mécanisme avait été proposé par le juge O’Connor dans son deuxième rapport, à la suite de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Le gouvernement a finalement répondu à cette demande en créant l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.

Au fil des ans, la CSILC est systématiquement intervenue devant des comités parlementaires pour contester les attaques législatives contre les droits et libertés et, plus largement, pour informer les député⋅es des dangers inhérents aux mesures qu’on leur demandait d’adopter. La CSILC a également travaillé activement, seule ou au sein de coalitions, pour tenir les citoyen⋅nes informé⋅es sur ces questions. En conséquence, iels sont aujourd’hui plus critiques et plus méfiant⋅es à l’égard des nouvelles mesures de surveillance ou de sécurité qui portent atteinte aux libertés civiles et aux droits de la personne.


Dominique Peschard est coprésident de la CSILC depuis 2012 et il a présidé la Ligue des droits et libertés (LDL) de 2007 à 2015. Il est actuellement membre du comité de la LDL « Surveillance des populations, intelligence artificielle et droits humains ».

Une victoire pour l’aide humanitaire!

Par Tim McSorley & Xan Dagenais

Depuis la création de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), nous avons mis en garde contre l’impact négatif des lois antiterroristes sur la fourniture de l’aide internationale, en particulier aux populations des régions où sont actives des entités considérées par le gouvernement canadien comme des groupes terroristes. Lorsque les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan en 2021, le gouvernement canadien a refusé de donner l’assurance que les organisations fournissant une aide internationale, y compris les organisations humanitaires, ne seraient pas poursuivies. Cela a contraint de nombreuses personnes à abandonner leur travail vital dans le pays. Alors qu’une crise humanitaire s’aggravait en Afghanistan, la société civile a fait pression sur le gouvernement pour qu’il modifie la loi afin de créer une voie simple pour à nouveau fournir une aide internationale. Malheureusement, mais sans surprise, le gouvernement a plutôt présenté le projet de loi C-41 qui visait à créer un régime d’autorisation complexe pour permettre aux organisations de fournir une aide internationale dans les zones contrôlées par des groupes considérés comme des « entités terroristes » par le Canada.

Grâce aux pressions concertées de groupes de la société civile, dont la CSILC, le projet de loi a été amendé pour créer, pour la première fois, une exemption dans les lois canadiennes contre le financement du terrorisme pour la fourniture d’aide humanitaire. Bien qu’il s’agisse d’une victoire évidente, des questions subsistent quant à la façon dont le gouvernement interprète l’exemption.

Parallèlement, cette exemption ne s’applique pas aux organisations canadiennes d’aide internationale qui mènent des activités vitales mais qui ne sont pas exclusivement de nature humanitaire, notamment en ce qui concerne la fourniture de services de santé, la défense des droits de la personne, les efforts de consolidation de la paix et le soutien entourant les moyens de subsistance. Ces organisations sont désormais soumises à un processus d’autorisation peu clair, lourd et invasif pour mener à bien leur travail en Afghanistan.

Entre autres préoccupations, ce nouveau régime impose à ces groupes la responsabilité de prouver qu’ils ne violent pas des règles d’évaluation de sécurité vaguement définies. Ces règles permettent au ministre de la Sécurité publique de refuser une autorisation uniquement parce qu’une personne impliquée dans un projet, y compris des partenaires internationaux, a des « liens » indéfinis avec le terrorisme ou a déjà fait l’objet d’une simple enquête pour des motifs terroristes.

La CSILC a documenté à maintes reprises comment des règles aussi vagues entraînent des impacts néfastes, notamment : « la culpabilité par association » basée uniquement sur des allégations non étayées; l’ingérence politique ou le pouvoir discrétionnaire ministériel fondé sur l’opportunisme politique; et la promulgation de préjugés et du racisme à la fois systémiques et individuels.

Nous restons également préoccupés par le fait qu’un régime d’exemption ne résout pas le problème principal : le fait que les lois antiterroristes trop vastes du Canada ont permis que cette situation se produise en premier lieu. Même si un régime d’exemption peut constituer une voie à suivre, il contourne le fait que les lois antiterroristes créent des zones et des entités considérées comme « interdites » et continuent d’avoir un impact injuste et disproportionné sur les pays et régions à majorité musulmane. Nous renouvelons notre appel au gouvernement pour qu’il modifie fondamentalement son approche en matière de lois antiterroristes et de leur application.

Bien que le projet de loi ait reçu la sanction royale en juin 2023, et malgré les assurances du gouvernement selon lesquelles il agirait rapidement, le régime d’autorisation n’a pas encore été lancé au moment de la rédaction de ce texte, en avril 2024, laissant des millions de personnes sans aide indispensable[1].


Tim McSorley est le coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Xan Dagenais est responsable des communications et de la recherche à la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Note de bas de page

[1] Depuis la rédaction de cet article, le gouvernement a lancé le régime d’autorisation. Nous partagerons une analyse critique plus tard.

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