La CSILC et le Centre des études sur la surveillance de l’Université Queen’s

FLICKR/Kate Kehoe

Par David Lyon

La Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) a été fondée au lendemain du 11 septembre, en réaction à la recherche de terroristes à l’échelle internationale, facilitée en partie par de massives initiatives de surveillance. Au cours des années qui ont suivi, ce qui était alors connu sous le nom de Projet sur la surveillance à l’Université Queen’s de Kingston, a amorcé un partenariat fructueux avec la CSILC, à l’initiative de Roch Tassé, premier coordonnateur national du groupe. La question relative à la surveillance de l’État, et plus particulièrement à celle de la sécurité, a été traitée dans le cadre de plusieurs grands projets de recherche, et des publications qui en ont découlé.

À l’Université, nous étions ravi⋅es de travailler de concert avec un organisme qui se consacre au maintien des libertés civiles au Canada et qui en dénonce les atteintes au moyen d’activités de surveillance inappropriées. La nécessité d’un tel programme est apparue clairement en 2002, lorsque l’ingénieur canadien en télécommunications, Maher Arar, a été arrêté à l’aéroport JFK de New York. Il a ensuite été transféré en Syrie, où il a été détenu dans des conditions inhumaines et interrogé sous la torture. Des données de surveillance erronées sont à l’origine de ce drame.

Roch Tassé, représentant la CSILC, a participé très tôt à des projets de recherche menés à l’Université Queen’s. Les travaux de la CSILC ont été publiés dans plusieurs ouvrages, notamment Surveillance et maintien de l’ordre à l’échelle mondiale : frontières, sécurité, identité[1] et dans des articles comme Contrôle, surveillance et tri social dans les aéroports : la réaction canadienne au 11 septembre dans son contexte[2]. Il a également participé à l’ouvrage, Jouer la carte de l’identité : surveillance, sécurité et identification dans une perspective mondiale[3], sous la direction de Colin Bennett et David Lyon, et à la collection, Le complexe surveillance-industrie[4], sous la direction de Kirstie Ball et Laureen Snider. La CSILC a collaboré avec le Centre des études sur la surveillance (CES) de l’Université Queen’s, qui a officiellement ouvert ses portes en 2009.

En 2015, Monia Mazigh, la nouvelle coordonnatrice nationale de la CSILC, a travaillé avec le CES sur le projet sur la Nouvelle transparence[5]. En 2016, Tim McSorley, le coordonnateur national suivant de la CSILC, s’est associé au projet de Surveillance des mégadonnées. Il a présenté un atelier qui est devenu par la suite un chapitre du livre Surveillance des mégadonnées et renseignement en matière de sécurité : le cas du Canada,[6] publié en 2021. Le chapitre, coécrit avec Xan Dagenais, responsable des communications et de la recherche à la CSILC, s’intitule « Contrer les mégadonnées : la résistance populaire à la surveillance gouvernementale au Canada depuis 2001 ». La CSILC a également fait une présentation lors de la dernière conférence sur la surveillance des mégadonnées et a participé au rapport final publié en 2022 : Au-delà de la surveillance des mégadonnées Liberté et équité[7].

Le projet de surveillance des mégadonnées a été l’aboutissement de nombreuses années de travail avec des partenaires comme la CSILC et il s’est concentré sur la croissance massive de la « surveillance des données » dans tous les domaines de la vie. Ensemble, nous avons exploré l’utilisation d’énormes quantités de données devenues disponibles à mesure que les utilisateurices des médias sociaux offraient à leur insu des détails de leur vie à des plateformes comme Google qui ont rapidement compris qu’elles pouvaient en tirer profit. Aujourd’hui, ces données sont également exploitées à des fins de maintien de l’ordre, de sécurité nationale et d’autres fins liées au gouvernement, ce qui soulève de sérieuses questions en ce qui concerne les libertés civiles, la justice en matière de données et les droits numériques. Les mégadonnées, aujourd’hui amplifiées par l’intelligence artificielle, jouent également un rôle important dans la perpétuation des inégalités sociales en matière de classe, de race et de sexe.

Les résultats de nos partenariats de recherche ont généré un impact réel, non seulement par les publications universitaires, les articles d’opinion ou les entrevues dans les médias, mais aussi en contribuant à la réglementation des entreprises propriétaires de plateformes, à la résistance populaire à certains de leurs effets les plus néfastes et à la recherche d’autres façons de traiter les données – non seulement les données « sur » les personnes, mais « pour » et « avec » les personnes dont les données sont collectées, analysées et exploitées. Même si nos recherches se font avec des partenaires internationaux, nous nous sommes toujours soucié⋅es de sensibiliser les personnes vivant au Canada au défi que représente la surveillance actuelle, au moyen d’écrits accessibles et disponibles gratuitement.

Le rapport le plus récent, intitulé Au-delà de la surveillance des mégadonnées — Liberté et équité, souligne la nature asymétrique de l’information, à savoir que les institutions « en savent » de plus en plus sur nous, alors que nous en savons de moins en moins sur ce qu’elles font. Le rapport parle de « surveillance emmêlée », où des technologies très complexes fonctionnent de manière obscure pour la plupart d’entre nous, et ne sont pourtant encadrées que par des dispositifs faibles et inadéquats, incapables de limiter leur pouvoir négatif. En outre, le rapport indique quels sont les groupes les plus exposés et les plus vulnérables à la « surveillance des mégadonnées ».

Mais il ne s’agit là que des aspects techniques du partenariat entre le CES et la CSILC. C’est la participation à des projets communs, au contact de personnes animées d’un même esprit, qui rend cette collaboration aussi magique. Le CES est un groupe de recherche universitaire, alors que la CSILC est une coalition politiquement active de défense des libertés civiles. Cependant, nous partageons un objectif commun, celui de comprendre et de réglementer la surveillance, objectif qui peut être atteint efficacement en travaillant ensemble. Il s’agit d’une relation notable et mutuellement bénéfique à laquelle chacun contribue et dont les deux parties sont reconnaissantes. Chacune des parties s’appauvrirait sans l’autre.

Bien que nos membres respectifs mènent des activités académiques et de plaidoyer, nous travaillons conjointement à la réalisation des mêmes objectifs à l’aide de tactiques complémentaires, et c’est ce qui rend ce partenariat si significatif et gratifiant. Par conséquent, nous vous remercions, Roch, Monia et Tim, ainsi que toute l’équipe de la CSILC, d’avoir accepté de collaborer avec nous au CES. Grâce à ce que vous nous avez appris, notre mission est d’autant plus solide, et nous pensons que la vôtre a été renforcée par les résultats de nos recherches.

Meilleurs vœux pour les 20 prochaines années!


David Lyon est professeur émérite de sociologie et de droit à l’Université Queen’s, à Kingston. Il a écrit de nombreux livres dont le plus récent est Surveillance : Une très courte introduction (Oxford 2024).

Notes de bas de page

[1] Elia Zureik and Mark Salter, Global Surveillance and Policing: Borders Security, Identity, Routledge, 2005.

[2] David Lyon, “Airport screening, surveillance and social sorting: Canadian response to 9/11 in context,Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice, 2006.

[3] Colin J. Bennett and David Lyon, Playing the Identity Card: Surveillance, Security and Identification in Global Perspective, Routledge, 2008.

[4] Kirstie Ball and Laureen Snider, The Surveillance-Industrial Complex: A Political Economy of Surveillance, Routledge, 2013.

[5] Colin J. Bennett, Kevin D. Haggerty, David Lyon, et Valerie Steeves, Vivre à nu. La surveillance au Canada, AU Press, 2014.

[6] David Lyon and David Murakami Wood, Big Data Surveillance and Security Intelligence: The Canadian Case, UBC Press, 2021.

[7] Big Data Surveillance Project, “Au-delà de la surveillance des mégadonnées — Liberté et équité. Rapport pour tous les Canadiens et Canadiennes”, Surveillance Studies Centre, Queen’s University, 18 mai 2022.

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