Par Monia Mazigh – Cette semaine, une journaliste d’investigation de Radio-Canada a découvert que l’Agence canadienne des services frontaliers (ASFC) a détenu entre 4000 à 6000 demandeurs d’asile par an au cours des dix dernières années.
On estime que 90% des cas n’ont aucun lien avec la sécurité nationale. Au contraire, la plupart des demandeurs d’asile sont détenus pour des raisons administratives, principalement concernant leurs papiers d’identité. La partie la plus troublante de cette enquête est que ces demandeurs d’asile, y compris des centaines d’enfants, sont détenus dans des établissements où des criminels et des trafiquants de drogue sont également détenus: dans des centres de détention ou des prisons provinciales. En 2014-2015, il a été signalé que la période de détention pour les demandeurs d’asile était, en moyenne, de 23 jours.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains des migrants a joint sa voix au Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés afin de dénoncer ce traitement illégal et de demander au Canada de cesser la détention des demandeurs d’asile dans les prisons. Mais jusqu’à présent, le Canada n’a pas écouté et, il y a quelques jours, nous avons appris par les médias qu’un Syrien de 16 ans serait expulsé de Toronto par l’ASFC vers les États-Unis.
En vertu de l’accord Canada-États-Unis sur les tiers pays sûrs, les demandeurs d’asile sont tenus de demander l’asile dans le premier pays où ils arrivent. Cet accord fait partie du Plan d’action canado-américain pour une frontière intelligente. Il est entré en vigueur en 2004.
Dans les dernières années, Amnesty International, le Conseil canadien pour les réfugiés et le Conseil canadien des églises a contesté en cour cet accord en faisant valoir qu’il devrait être considéré comme une violation des obligations de la Charte puisque les États-Unis ne se conforment pas à la Convention sur les réfugiés et la Convention contre la torture. Tout d’abord, la Cour fédérale appuiera cette opinion, mais malheureusement, en 2008, la Cour d’appel a infirmé cette décision et le tribunal a rendu une décision définitive de maintenir l’accord.
Ce garçon, qui est venu aux États-Unis avec ses parents, a pensé qu’il aurait plus de chances d’être accepté par le Canada puisque le gouvernement libéral a fait une de ses priorités politiques d’accepter 25000 réfugiés syriens. Il n’était par contre pas au courant des pouvoirs étendus de l’ASFC et des pratiques de détention en cours pour les demandeurs d’asile, mentionnées ci-dessus.
Il convient de noter que le garçon de 16 ans a traversé la frontière non accompagné – ce qui devrait normalement le rendre admissible au Canada (étant donné son âge) – mais l’ASFC l’a arrêté et détenu pendant trois semaines en isolement dans un centre de détention à Toronto. Après l’avoir relâché, l’ASFC a ordonné que le garçon soit expulsé vers les États-Unis. De là, il sera probablement expulsé vers la Syrie via l’Égypte.
Le fait que ce garçon a été placé à l’isolement est choquant et en totale contradiction avec ce que le Premier ministre Justin Trudeau a récemment demandé à la ministre de la Justice dans sa lettre de mandat : mettre en œuvre les «recommandations de l’enquête sur le décès d’Ashley Smith concernant la restriction de l’utilisation de l’isolement et le traitement des personnes atteintes de maladie mentale ».
Une fois de plus, nous avons un organisme fédéral qui est extrêmement impliqué dans l’arrestation et la détention de personnes, les plus vulnérables, sans possibilité de recours ou d’appel. Les pouvoirs étendus que cette agence a accumulés depuis le 11 septembre 2001 ne sont pas toujours justifiés. En effet, pourquoi continuons-nous à détenir les demandeurs d’asile en prison pendant qu’on vérifie leur identité ou leurs documents juridiques?
Selon certains experts dans le domaine, ces arrestations abusives peuvent être simplement remplacées par des conditions simples de libération sous caution ou des exigences de présence : par exemple, l’individu doit régulièrement se présenter devant les autorités et ne pas quitter la ville.
En outre, ces arrestations ne sont même motivées par la sécurité comme il est généralement perçu par certains. Le garçon de 16 ans présente-t-il une menace pour la sécurité du Canada? Rien ne semble indiquer que c’est le cas ici, ni dans la plupart des autres cas de détention puisque, comme nous l’avons dit plus haut, 90% des 4000 cas de demandeurs détenus n’ont rien à voir avec la sécurité.
En attendant, nous ne savons pas pourquoi ces arrestations sont effectuées. Ce traitement humiliant et nocif des réfugiés au nom de la paranoïa de sécurité qui entache les actions du gouvernement doit cesser. L’ASFC est l’un des nombreux organismes de sécurité qui ont zéro responsabilisation et mécanisme de surveillance et d’examen. Cela doit changer immédiatement.
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