20 ans de défense des libertés civiles

Défendre les droits des demandeur.ses d’asile

Une femme avec une poussette est interceptée par la GRC alors qu’elle traverse la frontière entre les points d’entrée officiels du Canada. Crédit : Daniel Case/Wikimedia

Par Janet Dench

L’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs a sensiblement le même âge que la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) et elle repose sur des bases similaires.

En décembre 2001, à la suite des attentats du 11 septembre, les gouvernements des États-Unis et du Canada ont signé la Déclaration sur la frontière intelligente et le plan d’action en 30 points visant à améliorer la sécurité de notre frontière commune, tout en facilitant le passage légitime des gens et des biens. L’un des points concernait l’Entente sur les tiers pays sûrs, conçue pour empêcher la plupart des personnes de déposer une demande d’asile à la frontière terrestre entre les États-Unis et le Canada. Les personnes en quête de protection contre les persécutions et qui présentaient une demande d’asile se voyaient donc assimilées à une menace pour la sécurité. Leur passage n’était donc plus considéré comme un « passage légitime de gens ».

L’Entente sur les tiers pays sûrs repose sur le principe selon lequel les réfugié⋅es doivent présenter leur demande dans l’un ou l’autre des deux pays où iels arrivent en premier, car ces deux pays sont soi-disant sécuritaires pour les réfugié⋅es. Bien que l’entente fonctionne dans les deux sens, il s’agit en fait d’empêcher les personnes qui se trouvent aux États-Unis de demander protection au Canada.

Le Conseil canadien pour les réfugiés, de même que de nombreuses organisations de défense des droits des réfugié⋅es, y compris la CSILC, ont toujours affirmé que, dans les faits, les États-Unis n’étaient pas un pays sûr pour l’ensemble des réfugié⋅es. Le recours généralisé à la détention, dans des conditions horribles, viole les droits de la personne et fait qu’il est extrêmement difficile pour les gens de présenter une demande d’asile. Il leur est souvent impossible de trouver un⋅e avocat⋅e, et iels se heurtent à des problèmes de communication élémentaires lorsqu’iels essaient de rassembler des preuves pour documenter leurs craintes d’être persécutées.

La loi étasunienne exige que les personnes déposent une demande d’asile dans l’année qui suit leur arrivée dans le pays. De nombreuses personnes ne savent pas à priori comment déposer une demande d’asile, ni même s’il est utile de le faire dans leur situation. Les femmes qui fuient les persécutions fondées sur le genre voient souvent la porte des réfugié⋅es se refermer sur elles aux États-Unis. Bien que les règles aient changé à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies, les femmes n’ont jamais bénéficié d’une protection cohérente et adéquate en raison de l’interprétation très étroite que font les États-Unis de la définition du terme « réfugié⋅e ».

Pour toutes ces raisons, en 2005, le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale Canada et le Conseil canadien des Églises ont lancé une contestation juridique relative à l’Entente sur les tiers pays sûrs. En 2007, la Cour fédérale a soutenu la contestation, mais la décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, et la Cour suprême du Canada a refusé d’entendre l’appel.

Lorsque l’administration Trump est arrivée au pouvoir en introduisant immédiatement des mesures consternantes, comme le « décret antimusulman », beaucoup espéraient que le gouvernement canadien, qui se targuait d’accueillir des réfugié⋅es, serait finalement contraint de conclure que les États-Unis ne pouvaient plus être considérés comme un pays sûr pour les réfugié⋅es. Mais comme nous l’avons découvert plus tard grâce à certaines révélations dans le cadre d’un litige, le gouvernement canadien n’avait établi aucune norme minimale en deçà de laquelle il aurait dû se retirer de l’entente. Le gouvernement a donc continué à prétendre que les États-Unis étaient un pays sûr pour les réfugié⋅es.

En 2017, ces trois mêmes organisations ont lancé une nouvelle contestation judiciaire, aux côtés d’une courageuse Salvadorienne et de ses enfants (d’autres personnes se sont jointes à leur cause par la suite). Cette affaire a suivi à peu près le même parcours que la première fois : la Cour fédérale a confirmé notre contestation, estimant que les conditions de détention aux États-Unis violaient la Charte canadienne des droits et libertés, puis, une fois de plus, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision.

La deuxième fois, cependant, la Cour suprême a accepté d’entendre l’affaire! Des milliers de pages de preuves et d’arguments sont maintenant devant la Cour, qui a tenu son audience en octobre 2022. À l’heure où j’écris ces lignes, nous attendons la décision de la Cour suprême[1].

Entre-temps, en 2022, plus de 30 000 personnes sont entrées au Québec par le chemin Roxham qui n’est pas un poste-frontière officiel. Elles ont été arrêtées et leur cas a été traité. Elles ne voulaient pas traverser de manière irrégulière, mais ce passage leur permettait de présenter une demande d’asile au Canada, car jusqu’à tout récemment, l’Entente sur les tiers pays sûrs ne s’appliquait pas entre les points d’entrée officiels.

En mars 2023, le Canada et les États-Unis ont élargi l’Entente sur les tiers pays sûrs pour qu’elle s’applique également entre les points d’entrée officiels. Cela ne mettra pas fin aux passages irréguliers. Au contraire, cela les rendra encore plus irréguliers, dangereux et clandestins. On peut s’attendre à ce qu’un nombre croissant de personnes soient blessées ou meurent, en tentant des itinéraires risqués pour franchir la frontière, y compris en plein hiver. Des passeurs sans scrupules profiteront de l’occasion pour gagner de l’argent sur le dos des personnes désespérées.

Le fait que l’entente révisée exige que les personnes présentent une demande d’asile dans les 14 jours suivant leur entrée au Canada signifie qu’elles peuvent être sous le contrôle de passeurs pendant ces deux semaines, vulnérables aux abus, sachant pertinemment que si elles fuient les passeurs, elles perdront la possibilité de présenter une demande d’asile.

Loin de renforcer la sécurité aux frontières, l’entente compromet la sécurité de toustes. Elle favorise le franchissement irrégulier de la frontière et expose les personnes en quête de sécurité à des risques beaucoup plus grands. Il faut mettre fin à cette entente.


Janet Dench a été directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés jusqu’en décembre 2022.

Note de bas de page

[1] Amnistie internationale Canada, Conseil canadien pour les réfugiés et Le Conseil canadien des Églises, « L’arrêt de la Cour suprême concernant l’Entente sur les tiers pays sûrs n’est pas à la hauteur des droits des réfugiés, mais offre un certain espoir », CCR, 16 juin 2023.

Retour à la table des matières

Puisque vous êtes ici…

… nous avons une faveur à vous demander. À la CSILC, nous travaillons sans relâche afin de protéger et promouvoir les droits humains et les libertés civiles dans le contexte de la soi-disant “guerre au terrorisme” au Canada. Nous ne recevons aucune aide financière des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral, ni d’aucun parti politique.Vous pouvez devenir notre mécène sur Patreon et recevoir des récompenses en échange de votre soutien. Vous pouvez donner aussi peu que 1$ par mois (c’est seulement 12$ par année!) et vous pouvez vous désabonner en tout temps. Tout don nous aidera à poursuivre notre travail.support-usVous pouvez également faire un don unique ou donner mensuellement par Paypal en cliquant sur le bouton ci-dessous. Vous hésitez à donner? Consulter la page sur nos nombreuses Réalisations et Acquis depuis 2002. Merci de votre générosité!

Une victoire pour l’aide humanitaire!

Image de la campagne Aide à l’Afghanistan, à laquelle la CSILC a participé aux côtés de 17 autres organisations.

Par Tim McSorley & Xan Dagenais

Depuis la création de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), nous avons mis en garde contre l’impact négatif des lois antiterroristes sur la fourniture de l’aide internationale, en particulier aux populations des régions où sont actives des entités considérées par le gouvernement canadien comme des groupes terroristes. Lorsque les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan en 2021, le gouvernement canadien a refusé de donner l’assurance que les organisations fournissant une aide internationale, y compris les organisations humanitaires, ne seraient pas poursuivies. Cela a contraint de nombreuses personnes à abandonner leur travail vital dans le pays. Alors qu’une crise humanitaire s’aggravait en Afghanistan, la société civile a fait pression sur le gouvernement pour qu’il modifie la loi afin de créer une voie simple pour à nouveau fournir une aide internationale. Malheureusement, mais sans surprise, le gouvernement a plutôt présenté le projet de loi C-41 qui visait à créer un régime d’autorisation complexe pour permettre aux organisations de fournir une aide internationale dans les zones contrôlées par des groupes considérés comme des « entités terroristes » par le Canada.

Grâce aux pressions concertées de groupes de la société civile, dont la CSILC, le projet de loi a été amendé pour créer, pour la première fois, une exemption dans les lois canadiennes contre le financement du terrorisme pour la fourniture d’aide humanitaire. Bien qu’il s’agisse d’une victoire évidente, des questions subsistent quant à la façon dont le gouvernement interprète l’exemption.

Parallèlement, cette exemption ne s’applique pas aux organisations canadiennes d’aide internationale qui mènent des activités vitales mais qui ne sont pas exclusivement de nature humanitaire, notamment en ce qui concerne la fourniture de services de santé, la défense des droits de la personne, les efforts de consolidation de la paix et le soutien entourant les moyens de subsistance. Ces organisations sont désormais soumises à un processus d’autorisation peu clair, lourd et invasif pour mener à bien leur travail en Afghanistan.

Entre autres préoccupations, ce nouveau régime impose à ces groupes la responsabilité de prouver qu’ils ne violent pas des règles d’évaluation de sécurité vaguement définies. Ces règles permettent au ministre de la Sécurité publique de refuser une autorisation uniquement parce qu’une personne impliquée dans un projet, y compris des partenaires internationaux, a des « liens » indéfinis avec le terrorisme ou a déjà fait l’objet d’une simple enquête pour des motifs terroristes.

La CSILC a documenté à maintes reprises comment des règles aussi vagues entraînent des impacts néfastes, notamment : « la culpabilité par association » basée uniquement sur des allégations non étayées; l’ingérence politique ou le pouvoir discrétionnaire ministériel fondé sur l’opportunisme politique; et la promulgation de préjugés et du racisme à la fois systémiques et individuels.

Nous restons également préoccupés par le fait qu’un régime d’exemption ne résout pas le problème principal : le fait que les lois antiterroristes trop vastes du Canada ont permis que cette situation se produise en premier lieu. Même si un régime d’exemption peut constituer une voie à suivre, il contourne le fait que les lois antiterroristes créent des zones et des entités considérées comme « interdites » et continuent d’avoir un impact injuste et disproportionné sur les pays et régions à majorité musulmane. Nous renouvelons notre appel au gouvernement pour qu’il modifie fondamentalement son approche en matière de lois antiterroristes et de leur application.

Bien que le projet de loi ait reçu la sanction royale en juin 2023, et malgré les assurances du gouvernement selon lesquelles il agirait rapidement, le régime d’autorisation n’a pas encore été lancé au moment de la rédaction de ce texte, en avril 2024, laissant des millions de personnes sans aide indispensable[1].


Tim McSorley est le coordonnateur national de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Xan Dagenais est responsable des communications et de la recherche à la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Note de bas de page

[1] Depuis la rédaction de cet article, le gouvernement a lancé le régime d’autorisation. Nous partagerons une analyse critique plus tard.

Retour à la table des matières

Puisque vous êtes ici…

… nous avons une faveur à vous demander. À la CSILC, nous travaillons sans relâche afin de protéger et promouvoir les droits humains et les libertés civiles dans le contexte de la soi-disant “guerre au terrorisme” au Canada. Nous ne recevons aucune aide financière des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral, ni d’aucun parti politique.Vous pouvez devenir notre mécène sur Patreon et recevoir des récompenses en échange de votre soutien. Vous pouvez donner aussi peu que 1$ par mois (c’est seulement 12$ par année!) et vous pouvez vous désabonner en tout temps. Tout don nous aidera à poursuivre notre travail.support-usVous pouvez également faire un don unique ou donner mensuellement par Paypal en cliquant sur le bouton ci-dessous. Vous hésitez à donner? Consulter la page sur nos nombreuses Réalisations et Acquis depuis 2002. Merci de votre générosité!

La séduction dangereuse de l’État raciste «antiraciste»

Cet essai fait partie de la nouvelle publication du 20e anniversaire de la CSILC, Défendre les libertés civiles à l’ère de la sécurité nationale et de la guerre au terrorisme. Assistez au lancement en ligne le 11 septembre 2024 à 19 h HE (en anglais). Cliquez ici pour pour vous inscrire.

Si vous êtes à Montréal, venez au lancement francophone en personne le jeudi 19 septembre à 19h. Cliquez ici pour avoir toutes les informations.

Par Azeezah Kanji

À mesure que « l’extrémisme » suprémaciste blanc devient un sujet de préoccupation croissante en matière de sécurité nationale, les contradictions liées à l’utilisation d’un appareil gouvernemental raciste pour lutter contre le racisme ne cessent de s’intensifier. Comme l’ont démontré[1] les universitaires féministes, presque tout – et son contraire – est susceptible d’être utilisé contre nous. Cela englobe « l’antiracisme » pratiqué par l’État colonialiste qui perpétue le suprémacisme blanc en son sein, que ce soit par la condamnation de la violence d’un attentat haineux « extrémiste » ou par la violence tolérée des assassinats perpétrés par des policier⋅ères et des militaires, la complaisance envers la torture et l’effacement génocidaire de la souveraineté autochtone.

Aujourd’hui, des projets de loi concernant les contenus préjudiciables en ligne[2] et des restrictions imposées aux manifestations[3] ont été promulgués au nom de la lutte contre le suprémacisme blanc. Pourtant, comme le démontre[4] l’histoire canadienne passée et récente en matière de régulation de la liberté d’expression, ces pouvoirs sont susceptibles d’être utilisés avant tout contre l’activisme autochtone, palestinien, noir et musulman. De même, les politicien⋅nes canadien⋅nes, toutes tendances confondues, ont[5] adopté[6] le recours à la lutte contre le terrorisme pour combattre « l’extrémisme de droite », renforçant ainsi les dispositifs juridiques utilisés principalement[7] contre les musulman⋅es sous prétexte de les protéger. Ainsi, en février 2021, lorsque les Proud Boys ont été inscrits sur la liste des « entités terroristes », neuf groupes[8] islamistes ont été discrètement ajoutés, contribuant ainsi à exacerber le sentiment anti-musulman sous le couvert de lutter contre le racisme.

L’un des groupes « terroristes » nouvellement ajoutés est au Cachemire et opère dans le contexte d’une occupation militaire massive et abusive de l’État indien[9]. En effet, l’Inde se targue[10] de maintenir le ratio le plus élevé au monde du nombre de soldats par rapport au nombre de citoyen⋅nes. Sur cette liste figure également l’organisation caritative IRFAN, pénalisée[11] pour avoir fait des dons médicaux à Gaza alors que, sous l’occupation israélienne, la terreur de « l’apartheid médical[12] » et la destruction[13] d’installations médicales vitales infligées aux Palestinien⋅nes se poursuivent de manière incontrôlée. Comme le souligne une déclaration commune[14] d’expert⋅es en matière de lutte contre le racisme, d’enjeux juridiques et de droits de la personne, rédigée conjointement avec la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) : « l’inscription d’organisations telles que les Proud Boys aux côtés de groupes palestiniens et cachemiriens établit un amalgame entre des groupes de résistance issus d’une occupation militaire de longue durée, et des suprémacistes blancs et des néonazis, le tout sous la rubrique d’un concept large et incohérent de ‘terrorisme’. » Ces exemples mettent en évidence le caractère incomplet, mais surtout l’important biais idéologique de la notion de « terrorisme » cantonnée à la violence de ceulles qui se trouvent en marge du pouvoir de l’État, alors qu’elle autorise une violence bien plus importante de l’État lui-même.

Continue reading

Page 8 of 9« First...56789