Par Monia Mazigh – Il semblerait que le cas de Syed Adam Ahmed, le garçon de six ans résidant à Toronto, qui a vécu un énième délai alors qu’il devait monter dans un avion pour aller assister à un match de hockey aux États-Unis, prétendument parce que son nom se trouve sur une «liste d’interdiction de vol» (No-Fly list) ou sur un liste de personnes «présumées importantes» (Deemed High Profile list), a ouvert une boîte de Pandore pour le gouvernement libéral.
D’autres parents canadiens ont à leur tour partagé avec les médias des histoires incroyables au sujet de leurs jeunes ou très jeunes enfants qui ont vécu de nombreux délais avant de monter dans un avion. Je soupçonne que ces situations durent depuis de nombreuses années mais que les gens avaient peut-être peur de parler sous le gouvernement Harper ou peut-être savaient-ils que, peu importe ce qu’ils diraient, leur situation resterait inchangée. Et la preuve: les choses sont toujours les mêmes.
Depuis 2007, lorsque le Programme de protection des passagers (PPP) a été mis en œuvre au Canada – copié sur celui des États-Unis – la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) et d’autres organisations ont dénoncé le caractère arbitraire et inconstitutionnel du programme. En décembre 2008, la Commissaire à la vie privée du Canada, Jennifer Stoddart, a rapporté au Parlement que Transport Canada n’avait fourni «aucune preuve démontrant l’efficacité des listes d’interdiction de vol».
En 2010, en collaboration avec la British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA), la CSILC a publié un rapport exhaustif sur le PPP. Nous avons documenté les cas de Canadien.nes qui ont été arrêté.es aux frontières, ont subi de longues vérifications, ont été humilié.es, puis refusé.es ou relâché.es enfin après plusieurs heures d’interrogatoires. Depuis, on n’a pas constaté d’améliorations. Au contraire, avec la nouvelle Loi antiterroriste de 2015 (l’ancien projet de loi C-51), la liste d’interdiction de vol a été perpétuée et élargie, malgré le fait que le gouvernement n’a toujours pas démontré que ce programme est efficace ou rend le Canada plus sécuritaire.
Mais, comment ce programme fonctionne-t-il?
Tout d’abord, nous devons nous rappeler qu’il s’agit d’un programme très secret de sorte qu’il pourrait y avoir des choses dont nous ignorons l’existence.
Pour commencer, un groupe consultatif composé de bureaucrates de haut niveau de la GRC, du SCRS, de l’ASFC, de Transports Canada et du ministère de la Justice a le pouvoir de placer des personnes sur la «Liste de personnes spécifiées» (Specified Persons List). Toute personne qui se retrouve sur cette liste ne pourra embarquer dans un avion.
Évidemment, à cette étape, on peut voir qu’il y a des problèmes avec ce processus d’inscription. Ce qui est encore plus inquiétant est que, avec C-51, le processus d’inscription devient en outre encore plus arbitraire puisque le ministre des Transports peut déléguer le processus d’inscription à n’importe quel agent dans son ministère. Les cas dans les médias nous ont montré comment ces listes peuvent être arbitraires et ridicules.
De plus, les individus sur la liste se voient refuser l’accès à la preuve secrète derrière leur inscription. Dans les cas qui ont été présentés dans les médias, les enfants ne semblent pas être refusés à l’embarquement, mais ils ne peuvent pas s’enregistrer en ligne, l’agent de voyage ne peut pas les enregistrer non plus, ils doivent passer par des contrôles de sécurité étendus et un appel téléphonique, aux responsables d’Air Canada par exemple, est toujours nécessaire afin de leur permettre de monter à bord. Si un agent de la compagnie n’avait pas dit aux parents d’Adam que le garçon était sur une liste, les parents ne l’auraient jamais su. Et le gouvernement ne veut même pas confirmer ou infirmer ces informations. Pendant des années, le petit garçon et ses parents ont passé par ce processus frustrant chaque fois qu’il voulait prendre un avion. Les parents d’Adam sont à juste titre inquiets car cela pourrait empirer à mesure qu’il grandit.
Avant l’adoption de C-51, les individus refusés d’embarquement pouvaient se plaindre au Bureau de réexamen, prévu par le PPP, mais les pouvoirs de ce bureau étaient très faibles (comme l’a démontré le cas bien connu de Hani Al Telbani) et le ministre de la Sécurité publique avait toujours le dernier mot.
En vertu de la nouvelle Loi antiterroriste (C-51), un nouveau processus d’appel contourne maintenant l’ancien Bureau de réexamen et va directement au ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale. Le projet de loi dit que le ministre «doit donner au demandeur une possibilité raisonnable de faire des représentations», et en cas de refus, la décision peut être contestée devant la Cour fédérale, mais un tel processus ne comprend même pas un avocat spécial ou d’autres moyens pour tester la preuve du ministre.
Ainsi saurons-nous jamais pourquoi Adam et les autres enfants ont été mis sur cette liste? Est-ce qu’Air Canada utilise encore la No-Fly list des États-Unis, comme ils l’ont toujours fait dans le passé? M. Ralph Goodale, nous sommes impatients de connaître le résultat de votre enquête! Nous avons assez attendu.
Sources:
http://iclmg.ca/wp-content/uploads/sites/37/2014/03/R-Clearinghouse-border-controls.pdf
http://iclmg.ca/wp-content/uploads/sites/37/2015/03/ICLMG-BRIEF-TO-THE-STANDING-COMMITTEE-C-51.pdf
http://www.macleans.ca/news/canada/the-evolution-of-canadas-no-fly-list-and-why-it-was-inevitable/