Prévention

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  • Le gouvernement souhaite connaître votre avis au sujet des mesures qu’il devrait prendre dans le cadre de l’élaboration de sa stratégie nationale de lutte contre la radicalisation menant à la violence. Plus particulièrement, il souhaite dégager les priorités en matière de politiques, de recherche et de programmes pour le bureau en matière de sensibilisation de la collectivité et de lutte contre la radicalisation menant à la violence. Quelles devraient être les éléments prioritaires à inclure dans la stratégie nationale de lutte contre la radicalisation menant à la violence?

Le mandat devrait être la prévention de la violence, point. L’accent que met le gouvernement sur la «radicalisation vers la violence» plutôt que sur la violence elle-même est contre-productif, stigmatisant pour les populations ciblées et une pente glissante. Le gouvernement du Royaume-Uni s’y est déjà engagé, en passant de ses programmes de déradicalisation déjà très controversés, Prevent et Channel, à un attention récente sur la lutte contre «l’extrémisme non violent». Le gouvernement définit cela comme «l’opposition aux valeurs britanniques fondamentales. «Les valeurs britanniques» (tout comme les «valeurs canadiennes») n’ont jamais été définies et, en brandissant toute opposition à elles comme extrémiste, le gouvernement est en train de rendre la dissidence illégale.

Nous avons observé une tendance alarmante dans les discours des gouvernements – y compris les nôtres – vers la marginalisation des manifestants et des activistes (en particulier les étudiant.es, les autochtones et les environnementalistes), ainsi qu’une islamophobie croissante au Canada. Dans ce contexte, nous devons nous éloigner de tout langage ou méthodologie qui confond des idées, tendances politiques ou croyances religieuses particulières avec le radicalisme et la propension à la violence.

Enfin, de plus en plus d’études ont montré qu’il n’existe pas de profils précis pour les terroristes ni d’indicateur définitif de la «radicalisation». Des études ont également démenti les liens entre les croyances religieuses et le terrorisme. De plus, une étude récente du FBI sur ce qui motive les actions terroristes a révélé que le plus grand facteur (bien qu’on le retrouvait dans seulement 18% des cas) est la politique intérieure et étrangère agressive et structurellement violente imposée par les gouvernements, et la violente cassation de la dissidence contre ces mêmes politiques. Le gouvernement du Canada doit donc veiller à ce que toutes les politiques soient non seulement respectueuses des droits de la personne, mais aussi qu’elles contribuent à leur promotion et à leur avancement.

  • Quel devrait être le rôle du gouvernement dans le cadre des efforts visant à lutter contre la radicalisation menant à la violence?

Le gouvernement devrait jouer un rôle de premier plan dans la diminution de la peur qui mène à la suspicion d’autres cultures ou religions, au profilage des communautés et aux discours et crimes haineux. La violence terroriste et les individus qui voyagent pour rejoindre des groupes terroristes à l’étranger sont beaucoup plus rares que les violences racistes ou sexistes. Un bureau qui se concentre presque exclusivement sur la radicalisation de la violence liée au terrorisme «islamiste» contribuerait simplement à solidifier la peur du terrorisme et à stigmatiser les communautés musulmanes. Le gouvernement devrait plutôt élaborer un plan national pour la prévention de toutes les formes de violence, en mettant l’accent sur les discours qui appellent ou favorisent les actes de violence ainsi que, bien sûr, les actes de violence eux-mêmes – y compris la brutalité policière et la violence envers les femmes, particulièrement contre les femmes autochtones. Un tel bureau devrait aussi avoir un cadre anti-oppressif en général et prendre une position claire contre les discours sexiste, raciste, homophobe, transphobe et islamophobe. Le gouvernement et ses institutions devraient aussi donner l’exemple et être respectueux des droits de la personne et réparer les dommages et les abus qui ont été commis dans le passé, notamment en ce qui concerne les abus perpétrés au nom de la securité nationale ainsi que le traitement des communautés autochtones du Canada.

  • La recherche et l’expérience révèlent que la collaboration avec les collectivités est le moyen le plus efficace de prévenir la radicalisation menant à la violence. Quelle est la meilleure façon pour le gouvernement de travailler avec les collectivités? Comment les tensions entre les préoccupations en matière de sécurité et les efforts de prévention peuvent-elles être gérées?

La prévention de la violence est une question sociale, qui se doit d’être distincte de l’intervention policière. Ce n’est que s’il y a un risque réel d’actions violentes que la police devrait être impliquée. Autrement, la participation de la police peut être contre-productive, comme nous l’avons vu dans plusieurs programmes américains « contre l’extrémisme violent », où les individus ne veulent pas discuter de leurs opinions par peur d’être surveillés ou d’être arrêtés; pour de nombreuses raisons légitimes, beaucoup ne font pas confiance à la police. Nous avons aussi appris récemment que des anciens employés du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) à Montréal ont été contraints par le directeur du centre à violer leur code de déontologie en partageant toutes les informations confidentielles obtenues de personnes prétendument radicalisées dans un fichier centralisé auquel le directeur avait accès, refusant de dire comment il pourrait ou serait utilisé.

Le gouvernement peut plutôt aider en adoptant des politiques inclusives et anti-oppressives; en augmentant le financement aux services sociaux, à l’éducation, aux soins de santé, au logement; et, en général, en améliorant les infrastructures, les possibilités d’emploi et les conditions de vie de tous et toutes.

  • Les efforts de lutte contre la radicalisation menant à la violence ne peuvent pas revêtir une approche universelle. Les différentes collectivités ont des besoins et des priorités différents. De quelle façon le bureau peut-il déterminer et combler ces besoins particuliers? Quelles devraient être les priorités dans les efforts de financement visant à lutter contre la radicalisation menant à la violence?

Il est important d’évaluer les besoins particuliers des communautés touchées par la violence. Les consultations et les études sont essentielles, beaucoup ont déjà été effectuées. Les efforts de financement ne devraient cependant pas être axés sur la radicalisation à la violence, mais sur les besoins généraux des communautés afin d’améliorer leur qualité de vie.

  • La radicalisation menant à la violence est un enjeu complexe en constante évolution. Il est important que la recherche suive le rythme de cette évolution. Quels domaines de recherche devraient recevoir la priorité? À votre avis, quels autres travaux de recherche sont nécessaires?

Plusieurs études ont déjà démontré qu’il n’existe pas d’indicateurs précis et complets de la radicalisation et que, par conséquent, la portée devient trop large et aboutit à englober la dissidence. Le financement et la recherche devraient viser à éliminer la pauvreté, les inégalités, le racisme, la maladie, et les oppressions en général.

  • De quels renseignements et de quels autres outils avez-vous besoin pour vous aider à prévenir la radicalisation menant à la violence dans vos collectivités et y répondre?

De manière générale, cette question s’adresse aux individus pour répondre aux besoins de leurs propres communautés.

Cependant, nous aimerions souligner certaines préoccupations majeures. À l’avant-plan est la façon dont le langage et les définitions utilisées par le gouvernement et les médias, entre autres, peuvent conduire à la stigmatisation des communautés – et en absoudre d’autres.

Premièrement, nous appuyons le Conseil national des musulmans canadiens dans son appel aux médias et au gouvernement pour qu’ils utilisent «Daesh» plutôt que «l’État islamique» pour décrire le groupe terroriste. Cela supprime toute légitimité ou crédibilité qu’il a pu recevoir en se référant à l’islam ou à l’état. Il précise aussi qu’ils ne sont pas représentatifs de l’Islam ou de la communauté islamique, au Canada ou à l’étranger.

Deuxièmement, une réflexion sur la définition et l’application du mot «terrorisme» est nécessaire. Les responsables gouvernementaux, les politiciens et les médias ont décrit les actes de violence perpétrés sur la Colline du Parlement et à St-Jean sur le Richelieu en 2014 comme des actes «terroristes». Ces incidents ont été menés par deux hommes musulmans récemment convertis qui ont regardé des vidéos de propagande de Daesh mais qui n’avaient aucun lien avec le groupe, agissaient seuls et avaient peut-être des problèmes de santé mentale. Mais le terme de terrorisme n’a pas été utilisé pour décrire les actions d’un homme chrétien qui a tué trois officiers de la GRC à Moncton en 2014, en dépit de son intention de renverser le gouvernement, ni de deux suprématistes blancs qui, en 2015, prévoyaient tirer sur les gens au hasard dans un centre commercial de Halifax. Dans ce dernier cas, le ministre de la Justice à l’époque, Peter Mackay, a déclaré que le mot «terrorisme» ne s’appliquait pas parce qu’il n’y avait pas d’élément «culturel» dans leur cas (ignorant le fait que la «culture» n’est pas incluse dans les critères d’un acte terroriste).

Il existe de nombreuses actions violentes qui causent de la peur et de la terreur dans nos communautés qui ne seraient pas légalement qualifiées de «terrorisme», ce qui ne fait que renforcer la confusion et la division sur ce qui devrait être une priorité sociétale et gouvernementale. Par exemple, la violence contre les femmes est répandue et on doit s’y pencher. Et bien que quatre-vingts pour cent de ces incidents violents se produisent dans des résidences privées, au cours de la journée, aux mains d’hommes que ces femmes connaissent, nous disons collectivement aux femmes qu’elles doivent avoir peur des hommes étrangers ou de ne pas sortir seules la nuit. La violence réelle et la perception exagérée du risque de violence mettent beaucoup de femmes dans un état de peur lorsqu’elles sont à l’extérieur la nuit ou dans leurs interactions générales avec les hommes. De réels changements seraient possibles en s’attaquant aux causes profondes et en démystifiant la violence qui affecte de grandes parties de notre société, plutôt que de nous concentrer sur l’application de nouvelles étiquettes subjectives.