Par Monia Mazigh – Le 19 février 2015, quatre anciens Premiers ministres du Canada ont écrit un éditorial dans le Globe and Mail intitulé “A Close Eye on Security Makes Canadians Safer”. Ils exhortaient le gouvernement canadien à mettre en œuvre un régime de responsabilisation qui porterait sur les activités de sécurité nationale du Canada. Voici un extrait de ce qu’ils ont dit:
«Un régime de responsabilisation solide et robuste atténue le risque d’abus, arrête les abus quand ils sont détectés et fournit un mécanisme pour remédier aux abus qui ont eu lieu.»
Bien sûr, à l’époque, l’appel des quatre premiers ministres a été ignoré. La semaine dernière, près d’un an plus tard, nous avons été agréablement surpris d’entendre par l’entremise des médias que le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a déjà commencé à travailler sur la mise en œuvre du premier comité parlementaire sur la sécurité nationale formé de tous les partis en Chambre. Nous avons également appris que David McGuinty, député de longue date d’Ottawa-Sud, aura un rôle de leadership dans ce comité.
Quand il est question des agences de sécurité nationale et de leurs activités, il manque au Canada un mécanisme de surveillance et d’examen solide et intégré.
Dans le vocabulaire de tous les jours, il n’y a pas de distinction entre mécanisme de «surveillance» (oversight) et «d’examen» (review). En réalité, il existe une distinction claire entre les deux et nous aimerions les voir tous deux mis en œuvre au Canada.
Le juge Dennis O’Connor a déclaré ce qui suit dans les recommandations de son rapport : «Pour résumer, un organisme d’examen évalue les activités d’une organisation par rapport aux normes telles que la légalité et la régularité, et fournit des rapports qui contiennent souvent des recommandations aux responsables politiques de l’organisation au sein du gouvernement. En revanche, un organisme de surveillance exerce les mêmes fonctions, mais joue un rôle plus direct dans la gestion de l’organisation.»
Le juge O’Connor estime que le mécanisme d’examen aura une plus grande indépendance par rapport aux activités en cours de révision et aura donc un meilleur et plus grand impact sur la responsabilisation. Il ne croit pas que la surveillance puisse garder la même distance avec les organisations examinées et cela est donc une faiblesse potentielle.
Le Canada est le seul pays parmi les “Five Eyes” sans aucune sorte de processus de surveillance de ses agences de sécurité nationale. Toutefois, le Canada dispose de deux organismes d’examen externes:
- Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) créé en 1984 pour examiner les activités du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS);
- Le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications créé en 1996 pour examiner les activités du CST.
Même si ces deux organismes d’examen accomplissent un travail important, leurs fonctions respectives restent menées en silo, avec peu de ressources et d’énormes défis à relever. Dans un monde où les opérations de sécurité nationale sont de plus en plus intégrées, internationales et complexes, nos mécanismes d’examen restent faibles, dispersés et mal adaptés à cette nouvelle réalité.
Aujourd’hui, il existe 17 organismes canadiens participant à l’échange d’information dans le contexte de la sécurité nationale, et seulement trois ont une sorte de mécanisme d’examen : le SCRS, le CST et la GRC dans une moindre mesure. Qu’en est-il des ministères et des organismes tels que la Sécurité publique, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), les Affaires étrangères, etc.? Ils en ont aucun.
Suite à la Commission d’enquête Arar, le juge Dennis O’Connor a établi une liste de recommandations pour la création d’un régime de responsabilisation intégré. Il a favorisé le mécanisme d’examen avec un modèle «super CSARS» qui permettrait d’examiner toutes les activités de toutes les agences impliquées dans la sécurité nationale. Malheureusement, ces recommandations ne furent jamais mises en oeuvre.
Dans la dernière décennie, nous avons été témoins de quatre principales tentatives législatives d’établir un comité de surveillance au sein du Parlement canadien, mais elles ont toutes échoué.
En 2005, le projet de loi C-81 a été présenté par le gouvernement libéral afin d’établir un Comité de sécurité nationale des parlementaires. Il s’agit de la première tentative après «l’affaire Maher Arar» de créer un organisme de surveillance. Ce projet de loi est mort lorsque le Parlement a été dissous le 29 octobre 2005 et des élections générales ont été déclenchées.
En 2013, le projet de loi privé C-551 a été introduit par le député libéral Wayne Easter. Le projet de loi tentait d’établir un comité parlementaire chargé de superviser toutes les activités de sécurité nationale. Le projet de loi s’est arrêté à la première lecture en Chambre. Les projets de loi privés deviennent rarement des lois en particulier sous les gouvernements majoritaires, ce qui était le cas à l’époque.
En 2014, le projet de loi privé C-622 a été introduit par la députée libérale Joyce Murray avec l’intention d’imposer un plus grand contrôle judiciaire et parlementaire sur le CST ainsi que la création d’un Comité parlementaire sur les questions de renseignement et de sécurité. Le projet de loi a été rejeté en deuxième lecture.
Et enfin, en 2014, le projet de loi S-220 a été présenté par le sénateur conservateur Hugh Segal et soutenu par ses collègues libéraux Roméo Dallaire et Grant Mitchell. L’intention du projet de loi était de créer un comité multipartite de parlementaires sur la sécurité nationale et la surveillance du renseignement. Le projet de loi s’est arrêté à la deuxième lecture au Sénat.
Les nouvelles récentes que le Canada envisage de mettre en place un comité parlementaire de surveillance fondé sur le modèle britannique sont prometteuses, mais cela ne suffit pas.
La responsabilisation est essentielle pour de nombreuses raisons. Elle empêche les abus de se produire, Elle permet aux organismes d’apprendre de leurs erreurs passées, elle rend les agences plus efficaces et plus transparentes, mais, surtout, elle redonne confiance au public en ses institutions. Donc, n’oublions pas l’importance et la pertinence des mécanismes d’examen tel que recommandé par le juge O’Connor.