Par Monia Mazigh – « Bombe médiatique », «dénoncer», «dégoutant». Ce sont quelques-uns des mots utilisés par certains journalistes ou commentateurs pour décrire la récente nouvelle au sujet de certains éléments «voyous» de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), sans mandat judiciaire, qui ont mis deux journalistes de La Presse sous surveillance physique afin de connaitre l’origine d’une fuite médiatique effectuée par un agent du Service canadien des renseignements secrets (SCRS) à ces deux journalistes.
Dans notre analyse de cette nouvelle, nous soulevons trois points principaux :
– La liberté de la presse et la liberté d’expression sont des piliers essentiels de notre démocratie, toutefois la fuite d’information provenant de sources anonymes peut être une activité extrêmement «dangereuse». Elle peut faire la lumière sur un enjeu d’intérêt public comme elle peut nuire à la réputation des personnes surtout si l’information se révèle être un mensonge ou une demi-vérité fabriquée par les agents du renseignement. Les journalistes doivent faire leur travail en conformité avec certaines normes éthiques. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Le désir de publier un «scoop» ou un contenu exclusif l’emporte souvent sur les dommages potentiels causés à la vie de la personne faisant l’objet de la fuite. Juliet O’Neil l’a fait dans le passé, comme Maher Arar doit certainement s’en souvenir. À l’exception de l’ancien journaliste courageux du Globe and Mail, Jeff Sallot, aucun.e journaliste n’a fait son mea culpa. L’éthique est une denrée de plus en plus rare de nos jours dans le monde journalistique.
– Il y a une concurrence permanente entre les forces de l’ordre et les services de renseignement. Cette concurrence existait avant même la création du SCRS. Cette démarcation des territoires respectifs peut donner lieu à des situations où les forces de police font enquête sur les services de renseignement. Ce qu’il faut souligner et surtout se rappeler est que le projet de loi C-51 a accordé des pouvoirs supplémentaires au SCRS pour faire en quelque sorte le travail de la police. Ces pouvoirs leur permettraient d’empiéter sans aucun doute sur le travail des forces de l’ordre ce qui causerait inévitablement des problèmes entre les deux agences. Le SCRS a récemment reconnu avoir utilisé ces nouveaux pouvoirs et être prêt à continuer de les utiliser. Est-ce que cela signifie que nous devrions nous attendre à plus d’activités d’espionnage d’une agence sur les autres et plus de victimes collatérales?
– L’article a indiqué que ce sont des éléments «voyous» au sein de la GRC qui ont mené une telle surveillance sans mandat. Encore une fois, une explication simpliste semble prévaloir à chaque fois que des doigts sont pointés vers les activités controversées de la police ou des forces du renseignement. Que diriez-vous alors du partage par le SCRS de dossiers de l’Agence canadienne du revenu sur des citoyens canadiens à leur insu et sans mandat préalable? On s’est caché derrière des éléments voyous et maintenant tout est rentré dans l’ordre… Que diriez-vous des informations sur les citoyens canadiens partagés avec des organismes étrangers qui ont conduit à leur arrestation et à la torture? C’est l’œuvre de quelques «brebis galeuses» parmi les forces de l’ordre, mais nous allons faire plus attention la prochaine fois… Ces alibis durent depuis toujours. Je suis presque tentée de dire qu’ils sont la règle plutôt que l’exception!
La morale de l’histoire est non pas seulement l’importance de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, mais aussi l’importance et la nécessité de mettre en en place des mécanismes de surveillance et d’examen efficaces afin que nos agences de sécurité nationale soient tenues responsables de leurs actions. Ainsi, on éviterait à la fois les fuites d’information susceptibles de détruire la vie des gens, et les cas troublants de journalistes épiés par les services de renseignement.