Par Monia Mazigh – En janvier 2015, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi antiterroriste controversé, C-51. A cette époque, le gouvernement conservateur a sous-estimé la forte opposition de la population canadienne à ce projet de loi.
Le gouvernement a pensé que les attaques sur la colline du Parlement et à Saint-Jean-sur-Richelieu avaient créé un climat de peur qui pourrait convaincre la population de soutenir vigoureusement les politiques de sécurité nationale à tout prix. En effet, le public soutenait l’adoption de législation antiterroriste plus rigide à 70% en novembre 2014, et en février 2015, le soutien pour le projet de loi C-51 a atteint un pic de 80%. Suite à une campagne d’information, le soutien a rapidement baissé et parmi les citoyens qui avaientt entendu parler du projet de loi C-51, 38% seulement l’approuvaient. Même avec l’impressionnante opposition publique et les protestations, le Parlement a adopté le projet de loi en juin 2015.
Les Libéraux ont appuyé le projet de loi, mais ont promis que s’ils étaient élus, ils modifieraient les parties controversées. Le NPD s’est opposé au projet de loi et a promis de l’abroger s’il était élu. Aujourd’hui, nous avons un gouvernement libéral et nous ne savons toujours pas exactement ce qu’ils vont faire avec C-51. Cependant, nous savons par certains médias que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’est pas très enthousiaste par rapport aux possibles changements ou modifications, d’autant plus que C-51 leur accorde d’énormes pouvoirs de perturbation. Et malgré ce que le directeur du SCRS a récemment révélé au sujet de ces pouvoirs, le public sait peu de choses sur eux et comment ils sont utilisés.
Dans son mémoire au sujet de C-51, et en se référant aux pouvoirs de perturbation, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles a écrit «que ces pouvoirs extraordinaires sont sans précédent, dangereux et n’ont pas leur place dans une société libre et démocratique». Cela ne semble pas être l’opinion de Michel Coulombe, directeur du SCRS, qui, lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, a indiqué que les pouvoirs de perturbation intégrés dans le projet de loi C-51 ont été utilisés depuis l’automne dernier près de 24 fois. Comme prévu et redouté par les groupes de défense des droits civils, le SCRS n’a pas demandé une approbation judiciaire avant de mener ces actions perturbatrices. Ils ont décidé de leur propre chef qu’ils ne violaient pas les dispositions de la Charte des droits et libertés. Le SCRS n’a expliqué aucune de ces actions.
Comment pouvons-nous leur faire confiance? Le SCRS a dans le passé et à plusieurs reprises trompé son mécanisme d’examen, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), et les tribunaux. Voici quelques exemples:
- Dans le rapport annuel du CSARS de 2015, nous avons appris que le SCRS a plusieurs fois obtenu sans mandat des renseignements fiscaux de l’Agence du revenu du Canada sur les citoyens canadiens. Le CSARS l’a découvert et a recommandé au SCRS de corriger la situation et de suivre la procédure appropriée. Néanmoins, rien n’a été fait, au moins à notre connaissance, pour corriger la situation.
- Dans son rapport annuel de 2014, le CSARS a constaté qu’il avait été «gravement induit en erreur» par le SCRS et que les agents du SCRS avaient violé leur obligation de franchise au cours des procédures ex parte.
- Et si cela ne suffit pas pour convaincre les sceptiques, rappelons-nous aussi que, en 2013, le juge Mosley avait trouvé le SCRS en violation de son obligation de franchise envers la Cour en ne divulguant pas des renseignements pertinents à l’obtention d’un mandat pour ses activités d’espionnage.
Mais même si le SCRS a obtenu l’approbation des tribunaux pour espionner les gens et “perturber” leurs activités, cela ne rend pas nécessairement légitimes les pouvoirs de perturbation. Il est troublant de savoir que C-51 permet aux agents de renseignement du SCRS de faire ce qu’ils veulent sauf blesser, tuer ou agresser sexuellement les personnes. Un article du Globe and Mail de 2004, a indiqué qu’entre 1993 et 2003, le SCRS a réussi à faire approuver ses demandes de mandat 99.3% du temps. Si tel était le cas avant le projet de loi C-51, pourquoi devrions-nous nous attendre à ce que les choses soient différentes aujourd’hui?
Pendant ce temps, nous sommes encore dans l’obscurité concernant le plan du gouvernement. Il n’a pas fait d’annonces par rapport à C-51 relativement aux consultations publiques. Nous savons que le ministre Goodale a écouté les demandes de M. Coulombe et que ce dernier lui a dit que le SCRS «fonctionne sur des sténoses serrées, pas des caprices arbitraires». Mais, comme nous l’avons vu, ils ont une marge de manœuvre extraordinaire dans leurs actions, et ont abusé à répétition de leurs pouvoirs et n’écoutent pas les autorités qui sont en place pour assurer que nos droits soient respectés. Le ministre Goodale écoutera-t-il maintenant les préoccupations des Canadien.nes au sujet de C-51?
Sources
http://poll.forumresearch.com/post/243/one-half-of-those-aware-of-it-disapprove-of-bill-c51
http://www.vancouverobserver.com/news/new-poll-results-show-support-dropping-bill-c-51
http://rabble.ca/columnists/2016/02/god-fails-c-51-review-committees-and-dangers-window-dressing
http://www.peoplescommission.org/files/csis/EasyWarrants.pdf