Déclaration de la société civile sur le projet de loi C-59

Le 5 avril, 2018

Déclaration de la société civile sur le projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale

Le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-59 en affirmant explicitement que ce dernier est une solution aux «aspects problématiques» de son prédécesseur, le projet de loi C-51 — maintenant la Loi antiterroriste de 2015.

Nous, les organisations de la société civile et les expert.es individuel.les soussigné.es, sommes préoccupé.es par le fait que le projet de loi C-59 non seulement ne règle pas tous les problèmes liés à la législation actuelle sur la sécurité nationale, mais il introduit aussi des nouveaux problèmes très sérieux.

Le projet de loi a été renvoyé au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes (SECU) après la première lecture, laissant la porte ouverte à d’importants amendements. SECU a eu l’occasion d’entendre plusieurs d’entre nous, et beaucoup d’autres, au sujet du projet de loi C-59 : ses lacunes, comment il dépasse les limites et comment il peut être amélioré afin d’assurer une approche de la sécurité nationale centrée sur les droits. Les jours et les semaines à venir sont une période cruciale pour faire entendre nos voix. Pendant que le projet de loi C-59 progresse au Parlement, notre gouvernement doit écouter ceux et celles qui pensent que le Canada mérite mieux et que cette loi peut et doit protéger la sécurité nationale tout en respectant fermement et sans équivoque les droits de la personne.

Les organisations de défense des droits humains et des libertés civiles s’entendent sur les aspects les plus troublants du projet de loi C-59. Nos préoccupations portent sur : 1) la légalisation de la surveillance de masse; 2) l’impossibilité pratique pour un individu de contester efficacement son inclusion sur la «liste d’interdiction de vol»; et 3) l’autorisation de lancer des cyberattaques donnée à l’agence de renseignement électronique du Canada, le CST. Bien que ces trois points ne représentent en aucun cas les seuls problèmes liés au projet de loi C-59 nécessitant des «correctifs», ils font partie des domaines où le changement est à la fois urgent et le plus largement soutenu.

Autorisation de la surveillance de masse

Nous reconnaissons qu’une augmentation de la responsabilisation en matière de sécurité nationale pourrait être réalisée grâce à la création du poste de Commissaire au renseignement ainsi que de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Cependant, le projet de loi C-59 autorise expressément la surveillance de masse par la collecte de données en vrac et de données «accessibles au public» — un terme qui n’est pas clairement défini dans le projet de loi relativement aux «ensembles de données» recueillis par le SCRS, notre agence de renseignement domestique, et qui est défini de façon extraordinairement large pour le CST. Dans les deux cas, «accessible au public» est ouvert à des interprétations aussi générales que troublantes. En particulier, il n’est pas nécessaire que les informations accessibles au public aient été obtenues légalement. En l’absence de limites efficaces dans la loi, les organismes qui seront mis en place afin d’améliorer la reddition de comptes pourront réviser ou superviser les activités de surveillance de masse, mais pas nécessairement les empêcher ou les limiter. Le projet de loi C-59 abaisse également le seuil permettant au SCRS de recueillir de l’information sur les Canadien.nes. Alors que la cueillette devait auparavant être «nécessaire», elle n’aurait maintenant qu’à être «pertinente» à l’exercice des fonctions du SCRS. Même les données expressément reconnues comme n’étant pas directement et immédiatement en lien avec des menaces à la sécurité du Canada pourront être recueillies à l’avenir. Il y a eu peu de débats significatifs à savoir si ce seuil inférieur est nécessaire ou raisonnable compte tenu des objectifs que le gouvernement cherche à atteindre.

Procès et preuves secrètes pour les individus sur la liste d’interdiction de vol

Il n’a jamais été démontré que la liste d’interdiction de vol augmente la sécurité aérienne. Le projet de loi C-59 perpétue un régime qui limite sévèrement les droits en raison d’un simple soupçon de dangerosité qui ne peut être efficacement contesté dans le cadre d’un processus équitable et ouvert. Le système de réparation proposé par le gouvernement pour ceux et celles qui sont inclus.es, par erreur, sur une liste de personnes faisant l’objet d’un contrôle de sécurité renforcé («slow fly list») n’aide pas ceux et celles à qui ont interdit de voler. Ces personnes sont confrontées à un processus dans lequel elles peuvent légalement se voir refuser des informations pertinentes à leur cas, se voir refuser l’accès à leur propre procès, et dans lequel elles n’ont pas droit à un avocat spécial indépendant ayant accès à toutes les preuves contre elles. SECU a déjà recommandé un certain nombre de changements à la liste d’interdiction de vol, y compris l’utilisation d’avocats spéciaux. Certains d’entre nous, et d’autres, sont allés plus loin et ont plaidé en faveur de l’abrogation complète de la liste d’interdiction de vol. Les gouvernements successifs ont permis à ce système de durer pendant plus d’une décennie, et il est impératif que les problèmes qu’il pose en matière de droits fondamentaux soient reconnus et réglés.

galisation des cyberattaques par la «NSA du Canada», le Centre de la sécurité des télécommunications (CST)

Nous observons de dangereuses transformations opérées sur nos agences de «renseignement». Le projet de loi C-59 continue d’autoriser le SCRS à exercer des pouvoirs de «perturbation» et donne maintenant au CST des nouveaux pouvoirs de lancer des cyberattaques contre des personnes, des États, des organisations ou des groupes terroristes étrangers. Cela comprendrait le piratage, le déploiement de logiciels malveillants et les «campagnes de désinformation». Il existe un danger important de normalisation du piratage parrainé par l’État, sans parler de la tension évidente lorsque l’agence mandatée de protéger notre cyber infrastructure est aussi fortement encouragée à cacher et exploiter les vulnérabilités de sécurité pour ses propres attaques. Nous avons besoin d’une discussion publique sur les menaces auxquelles ces pouvoirs d’attaque sont censés répondre ainsi que sur les nouvelles menaces auxquelles ils pourraient nous exposer si une attaque canadienne dégénérait en cyberguerre.

Le gouvernement a dit aux Canadien.nes que la nouvelle loi «réparerait» la loi précédente. Au lieu de cela, nous avons un projet de loi qui répond nominalement à certaines préoccupations, mais exploite aussi cette opportunité afin d’introduire de nouveaux pouvoirs plus radicaux pour les agences de sécurité nationale.

Si l’objectif du projet de loi C-59 est vraiment de «réparer» les lois canadiennes sur la sécurité nationale, il reste encore beaucoup de travail à faire.

Signé par — en ordre alphabétique

Amnesty International Canada
Association canadienne des libertés civiles
Association canadienne des professeures et professeurs d’université
BC Civil Liberties Association
BC Freedom of Information and Privacy Association
Fédération canadienne des étudiant et étudiantes
Canadian Journalists for Free Expression
Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles
Conseil national des musulmans canadiens
Inter Pares
Lawyers’ Rights Watch Canada
Ligue des droits et libertés
MiningWatch Canada
National Union of Public and General Employees
OpenMedia
Conseil du Canada de l’Accès et la vie Privée
Rideau Institute
Rocky Mountain Civil Liberties Association
Samuelson-Glushko Canadian Internet Policy & Public Interest Clinic (CIPPIC)
Syndicat canadien de la fonction publique
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes
Voix juives indépendantes Canada

Comme individu.e.s:

Elizabeth Block, Independent Jewish Voices, Canadian Friends Service Committee
James L. Turk, Director, Centre for Free Expression, Ryerson University
Sharon Polsky, MAPP, Data Protection Advocate & Privacy by Design Ambassador
Sid Shniad, Member of the national steering committee, Independent Jewish Voices Canada

 

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