Éditorial : Une loi peut-elle devenir rétroactive après avoir été adoptée? Le gouvernement libéral croit que oui

Almalki, Nureddin, El MaatiPar Monia Mazigh – La Loi sur la protection du Canada contre les terroristes (l’ancien projet de loi C-44) a été présentée à la Chambre des communes immédiatement après les fusillades au Parlement et à Saint-Jean-sur-Richelieu en octobre 2014. Le projet de loi traînait sur les tablettes du gouvernement et les tragiques incidents ont offert le «timing stratégique» pour que le gouvernement dépose le projet de loi à la Chambre. C-44 est entré en vigueur en février 2015, avec 174 votes pour et 81 contre.

Ce projet de loi anti-terrorisme a introduit trois changements majeurs:

  • Il a permis au Service canadien de renseignement de sécurité, le SCRS, de mener ses opérations et fonctions à l’étranger;
  • Il a donné aux informateurs du SCRS « une plus grande protection », comme ne pas avoir à les identifier au tribunal, même au juge, à l’exception notable des cas où l’innocence de l’accusé est en jeu dans un procès criminel;
  • Il a permis aux juges canadiens d’émettre des mandats pour les activités du SCRS à l’extérieur du Canada, même si cela viole les lois étrangères.

Les changements étaient évidemment des réponses à une liste de souhaits formulés par le SCRS après avoir été réprimandé dans le système judiciaire. En effet, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada (dans le cas du certificat de sécurité de Mohamed Harkat) ont jugé que, contrairement aux informateurs de la police, les informateurs recrutés par le SCRS ne devraient pas bénéficier de la même protection de leur identité. Au lieu de cela, le tribunal a décidé que la protection doit être déterminée au cas par cas.

De plus, permettre au SCRS d’espionner en dehors du Canada, même si ses opérations violeraient les lois étrangères, était également un remède à la décision rendue par le juge Mosley critiquant les actions du SCRS qui à l’époque avait obtenu l’aide du Centre de la sécurité des télécommunications pour espionner des Canadiens à l’étranger et avait « maintenu le tribunal dans l’obscurité sur la portée et l’ampleur des efforts de collecte à l’étranger. »

Un aspect crucial du projet de loi C-44 est que le gouvernement conservateur n’avait pas affirmé à l’époque qu’il était rétroactif.

Par conséquent, nous avons été choqués d’apprendre la semaine dernière que le gouvernement libéral, dans sa lutte contre le poursuite intentée par Abdullah Almalki, Ahmad El-Maati et Muayyed Nureddin, a décidé de continuer à se battre pour que C-44 soit considéré rétroactif de sorte que la plus grande protection accordée aux informateurs incluse dans la législation serait applicable aux années où la détention et la torture des trois hommes ont eu lieu. Cette action est d’autant plus surprenante à la lumière du fait que les Libéraux avaient auparavant appuyé une motion en 2009 demandant que les trois hommes recoivent des excuses du gouvernement et soient compensés.

Pourquoi le gouvernement libéral s’oppose-t-il maintenant au droit de ces hommes d’obtenir justice? Qu’est-il arrivé à la responsabilisation dont nous avons entendu parler ces derniers mois, en particulier dans la lettre de mandat au ministre de la Sécurité publique, entre autres:

  • Aider le leader du gouvernement à la Chambre des communes à créer un comité statutaire composé de parlementaires ayant un accès spécial à l’information classifiée pour examiner les ministères et les agences qui ont des responsabilités en matière de sécurité nationale.
  • En collaboration avec la ministre de la Justice, travailler à la révocation des éléments problématiques du projet de loi C-51 et adopter de nouvelles mesures législatives renforçant la reddition de compte en matière de sécurité nationale et mieux équilibrer la sécurité collective avec les droits et les libertés.

Ce serait une grave erreur pour le gouvernement libéral de lutter contre les victimes de la torture. L’extension des pouvoirs déjà extraordinaires du SCRS afin de les rendre rétroactifs ne nous mènera pas à une plus grande responsabilisation et une reddition de compte renforcée.

 

Sources:

http://www.huffingtonpost.ca/2014/10/27/bill-c-44-csis-spy-watchdog-conservatives_n_6055512.html

http://www.thestar.com/news/canada/2016/02/06/liberals-back-csis-in-torture-lawsuit.html

http://pm.gc.ca/fra/lettre-de-mandat-du-ministre-de-la-securite-publique-et-de-la-protection-civile#sthash.hVvyq8sS.dpuf