Ralph Goodale effacera-t-il l’héritage honteux de Vic Toews?

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Par Monia Mazigh – Immédiatement après 9/11, Alan Dershowitz, un avocat américain bien connu et controversé, a suscité l’indignation parmi les organisations des droits de la personne quand il a publié un article dans le San Francisco Chronicle intitulé “Vous voulez torturer? Obtenez un mandat». Dans son article, Dershowitz fait valoir que le gouvernement pourrait recourir à la torture (il a précisé qu’elle devrait être non létale) dans le contexte d’un “scénario de bombe à retardement”. En un mot, son argument est que l’on peut tolérer l’utilisation d'”un certain type de torture” si cela sauvera le vie de centaines de milliers de personnes.

Je ne suis pas d’accord avec cet argument car je crois fermement que la torture ne peut jamais être justifiée, le viol non plus, ou tout autre type de brutalité, peu importe que l’on considère “légitimes” ou “séduisantes” les raisons utilisées pour tenter de la justifier.

Au Canada, le débat entourant la torture nous parvint d’abord à travers la participation du Canada dans la guerre en Afghanistan avec les programmes de transfert de détenus et l’usage de la torture par les forces afghanes sous les ordres de l’armée canadienne. Et ce n’est pas tout. En 2011, Vic Toews, ministre de la Sécurité publique à l’époque, a envoyé des directives ministérielles au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), en leur donnant le pouvoir d’utiliser et de partager le renseignement même s’il avait probablement été arraché sous la torture.

Comme l’argument machiavélique de Dershowitz, l’utilisation de la torture ne sera pas officiellement tolérée, mais Vic Toews fait en sorte de parler, “que la protection de la vie et des biens sont les principaux facteurs au moment de décider de l’utilisation de l’information”. Oubliant ainsi que cette information a peut-être été obtenue sous la torture.

Un an plus tard, Vic Toews a progressé dans ses tentatives visant à légaliser la torture en envoyant des mémos semblables à la GRC et à l’ASFC.

Les directives presque identiques permettent à ces agences de partager des informations obtenues par la torture. Une fois de plus, le “scénario de la bombe à retardement” est évoqué. La différence ici est qu’il question de “circonstances exceptionnelles” et la justification est “afin d’atténuer un risque sérieux de perte de vie, des blessures ou des dommages substantiels ou destruction de biens avant qu’ils se concrétisent.”

La semaine dernière, Ralph Goodale, le nouveau ministre de la Sécurité publique, a déclaré que ces directives controversées adoptées par le gouvernement précédent seront examinées. La nouvelle n’a pas attiré beaucoup d’attention.

Je crois que cela est l’une des actions les plus prometteuses et courageuses prises jusqu’ici par le gouvernement. Les «mémos sur la torture” canadiens seront-ils retirés? Cet héritage honteux de l’utilisation des informations extraites de la torture sera-t-il stoppé et inversé ou est-ce trop tard? L’été dernier, les médias ont rapporté que le SCRS a obtenu le feu vert d’un comité interne de haut niveau pour interviewer un Canadien détenu à l’étranger aussi longtemps que les autorités étrangères aient donné des «assurances appropriées” que le détenu ne serait pas maltraité. Bien sûr, nous savons que des «assurances appropriées” similaires ont été également données par les Etats-Unis quand ils ont envoyé Maher Arar aux geôliers syriens. Et bien sûr, nous savons aujourd’hui qu’il a fini par être torturé et les assurances étaient sans valeur. Nous allons certainement continuer à suivre cette question.

Sources:

http://www.cbc.ca/news/canada/rcmp-border-agents-can-use-torture-tainted-information-1.1161388

http://www.huffingtonpost.ca/2016/01/19/troubling-conservative-torture-policy-up-for-review-goodale-says_n_9016126.html

http://www.cbc.ca/news/politics/csis-relied-on-no-torture-assurances-from-foreign-agencies-memo-reveals-1.3136825