Éditorial – Piégé par la GRC : Quand s’arrête la fiction et commence la réalité?

john-nuttall-and-amanda-korodyPar Monia Mazigh – En juin 2015, John Nuttall et Amanda Korody, deux musulmans canadiens, ont été reconnus coupables de terrorisme. Ils ont été arrêtés parce que la GRC a accusé la paire d’avoir planifié de faire sauter l’assemblée législative de la Colombie-Britannique. Depuis 2001, plusieurs musulmans canadiens ont été arrêtés et reconnus coupables de terrorisme. L’une des affaires de terrorisme les plus connues est celle des « Toronto 18 ». Dans ce cas particulier, certains avocats de la défense ont tenté de faire valoir que leurs clients avaient été piégés par des informateurs qui les auraient enflammés et auraient facilité la planification des actes terroristes. À cette époque, ces arguments ont été rejetés par le juge et plusieurs des accusés ont été reconnus coupables de terrorisme.

Ce qui est inhabituel dans le cas de Nuttall et Korody est que lors de leur procès, la juge est devenu préoccupée par la possibilité que le couple ait été piégé. En effet, un agent d’infiltration de la GRC, se faisant passer pour un riche homme d’affaires arabe, s’est lié d’amitié avec le couple et les a aidés à planifier l’attentat. Pendant le procès, le chef d’une équipe de la GRC chargée d’enquêter sur des suspects potentiels de terrorisme a témoigné devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique « qu’il était préoccupé par la possibilité que des individus soient piégés et par l’abus de procédure au début d’une opération policière. »

L’avocat du couple a fait valoir que Nuttall et Korody ont été manipulés par les informateurs de la GRC afin de faire exploser des bombes fabriquées à partir d’autocuiseurs à l’assemblée législative de Victoria le jour de la fête du Canada en 2013. Le couple, qui s’est converti à l’Islam, souffre de toxicomanie et vivait de l’aide sociale avant d’être arrêtés. Les notes des policiers laissaient aussi entendre que Nuttall pourrait souffrir d’un « retard de développement ». Il est important de mentionner ces faits puisque, si la juge détermine que la police a bel et bien piégé le couple, ils viendraient renforcer la thèse selon laquelle la police aurait tendance à cibler des personnes vulnérables comme potentiels « terroristes en herbe ».

En 2013, un rapport du service de recherche du Congrès américain a indiqué que « depuis les attaques du 11 septembre, 2001 (9/11), le FBI a mis en œuvre une série de réformes destinées à se transformer d’une agence d’application de la loi largement réactive et axée sur les enquêtes sur les activités criminelles vers une agence plus proactive, agile, flexible, reposant sur le renseignement et qui peut prévenir les actes de terrorisme ».

En effet, l’une des méthodes adoptées par le FBI est l’introduction d’un informateur ou « agent provocateur » dans la vie de « personnes vulnérables » pour leur parler et les inciter à commettre un acte terroriste.

En 2014, Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport, « Illusion of Justice », qui documente 27 cas d’anti-terrorisme. Le rapport de HRW indique que, « selon plusieurs études, près de 50 pour cent de plus de 500 condamnations antiterroristes fédérales résultent de l’utilisation d’informateurs; près de 30 pour cent de ces cas ont été des opérations dans lesquelles l’informateur a joué un rôle actif dans la planification sous-jacente de l’attaque. » En outre, le rapport a constaté que dans de nombreux cas où la provocation policière avait été déployée, des personnes ayant un handicap mental et intellectuel avaient été prises pour cible.

De retour au Canada, l’utilisation de la provocation policière semble être une réalité possible dans le cas de Chiheb Esseghaier et Raed Jaser. Un informateur du FBI s’est aussi fait passer pour un homme d’affaires arabe riche qui voulait aider les suspects dans la réalisation d’actes de violence. L’état mental de l’un des suspects (Chiheb Esseghaier) et la précarité de la situation financière de Raed Jaser et du statut juridique de Ahmed Abbasi(1) au Canada (qui a été libéré après avoir passé 17 mois en détention aux États-Unis), ont été utilisés comme facteurs vulnérables afin de pousser les suspects plus loin dans la réalisation de complots terroristes.

Ceci, bien sûr, n’excuse pas les idées favorables aux idéologies violentes que les suspects détiennent mais néanmoins il est intéressant de poser la question: « auraient-ils encore prévu ou commis certains actes si l’agent d’infiltration ne les avait pas encourager à le faire? »

Au Canada, une enquête indépendante est nécessaire afin de révéler aux Canadien.nes si la GRC a utilisé les mêmes stratégies que le FBI. La décision de la juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Catherine Bruce, en ce qui concerne l’affaire Nuttall et Korody sera peut-être la meilleure raison de le faire. Toutefois, le procès fut récemment suspendu après que le SCRS ait refusé une fois de plus de remettre des documents relatifs à leur implication dans le complot. Nous pourrions être tenu dans l’ignorance pendant très longtemps.


 

(1) Selon Karen Greenberg, the director of the Center on National Security at Fordham Law School in New York, Ahmed Abbasi box Seems to be the first and only time que la defense of entrapment was successfully used to terrorism-have-related expenses dropped.

Sources:

http://ici.radio-canada.ca/regions/colombie-britannique/2015/06/14/005-proces-nuttall-korody-terrorisme-inquietudes-human-rights-watch.shtml

https://theintercept.com/2016/02/18/fbi-wont-explain-its-bizarre-new-way-of-measuring-its-success-fighting-terror/

https://www.hrw.org/report/2014/07/21/illusion-justice/human-rights-abuses-us-terrorism-prosecutions

http://news.nationalpost.com/news/canada/expelled-tunisian-student-suspected-in-via-rail-plot-says-real-instigator-is-mysterious-fbi-agent

http://www.thealfalfafield.com/2016/02/b-c-terror-trial-suspended-indefinitely-after-csis-refuses-to-discuss-their-involvement-in-plot/