Nouvelles de la CSILC

Canadiens détenus à l’étranger : et maintenant que faire?

alaradi-family-2Par Monia Mazigh – Un jour, mon mari a disparu à l’étranger et je ne savais pas quoi faire.

Appeler le ministère des Affaires étrangères? Appelez la police? Appelez l’ambassade du Canada? Appeler un avocat? Appelez les journalistes? Appelez les organisations de défense des droits de la personne? Appelez les politiciens?

Le niveau d’anxiété, de détresse et le manque de soutien étaient énormes.

Depuis 2002, je me suis familiarisée avec les histoires de plusieurs Canadiens et leurs familles qui ont traversé ces phases émotionnelles, logistiques et politiques. Les «chanceux» sont revenus au Canada sains et saufs, et ils ont été en mesure de retrouver une sorte de normalité. Leur résilience était leur meilleur allié afin de ravoir leurs vies volées. Malheureusement, pour beaucoup d’autres, ils sont toujours détenus à l’étranger, désemparés, dans de mauvaises conditions de santé, maltraités, menacés par l’incertitude et/ou l’arbitraire qui entoure leur détention.

Ici, je ne prétends pas parler au nom de tous les Canadiens détenus à l’étranger. Je vais me concentrer sur ceux qui ont un élément politique ou de sécurité nationale attachés à leur cas. Je ne souhaite d’aucune façon sous-estimer l’importance des cas des Canadiens détenus à l’étranger pour d’autres raisons, mais je n’ai tout simplement pas l’expertise nécessaire pour parler en leur nom.

Le premier cas qui me vient à l’esprit est celui de Salim Alaradi. L’histoire de cet homme d’affaires canadien originaire de la Libye et qui est emprisonné dans les Émirats Arabes Unis depuis août 2014 est vraiment épouvantable. La famille d’Alaradi, principalement à travers les efforts incroyables de sa fille adolescente Marwa, fait campagne pour sa libération. Le gouvernement des Émirats ne ressentait pas de pression de la part du gouvernement canadien  jusqu’à récemment, quand il a été rapporté dans les médias canadiens que l’affaire Alaradi est une priorité pour le gouvernement Trudeau nouvellement élu. Pendant ce temps, la famille est laissée à elle-même, sans processus clair à suivre fourni par les autorités canadiennes et faisait face à un mur de silence et d’indifférence du côté du gouvernement détenant le citoyen.

Les médias ne couvriront malheureusement pas ces cas de près, sauf si la famille est très persistante et à moins qu’il ne se passe « quelque chose de nouveau » comme si la détention continue d’un citoyen canadien dans des conditions horribles ne suffisait pas à justifier d’écrire fréquemment sur le sujet.

Généralement, le gouvernement canadien continue de soulever la question des visites consulaires. Ces visites sont généralement présentées aux familles comme l’objectif “ultime” des efforts du gouvernement canadien et comme une preuve claire du progrès dans le dossier. Je ne veux pas minimiser l’importance des visites consulaires, mais pour obtenir la libération d’un citoyen détenu dans un régime brutal et répressif, il faut plus que cela. Je comprends qu’il est extrêmement difficile de convaincre certains gouvernements d’ouvrir les portes de leurs prisons aux fonctionnaires consulaires canadiens afin qu’ils puissent visiter les prisonniers canadiens, mais il faut aussi se rappeler que les efforts du gouvernement canadien devraient viser rien de moins que la libération immédiate de la personne détenue, en particulier lorsque le détenu a des problèmes de santé et qu’aucune accusation n’a été portée contre lui ou aucun procès transparent et ouvert n’est prévu. Voilà exactement ce qui est arrivé à Salim Alaradi. Pendant plus d’un an, il a été emprisonné aux Émirats arabes unis sans aucune accusation et sa santé s’est détériorée. Il y a deux jours, les autorités des Émirats l’ont accusé de soutien au terrorisme. Cette nouvelle fut un choc pour sa famille et les organisations des droits de la personne suivant le cas.

Je ne prône pas une intervention musclée et belliqueuse du gouvernement canadien, quelque soit le pays, mais mon but est de dénoncer le manque de stratégie claire afin d’obtenir la libération d’un citoyen et son retour au Canada. Dans ce cas particulier, le Canada ne peut prétendre que nous n’avons pas de liens avec les Émirats arabes unis puisque nous avons à la fois des relations diplomatiques et commerciales avec le pays. Nous pouvons lire sur le site internet du gouvernement canadien : « On estime qu’environ 40 000 Canadiens résident et travaillent dans les Émirats arabes unis. Les compagnies aériennes des Émirats arabes unis, Etihad et Emirates, offrent des vols directs entre le Canada et les Émirats arabes unis. » Et même si, en 2011, il y a eu un différend entre les deux pays sur les droits d’atterrissage des avions des Émirats à Toronto et sur l’utilisation du camp militaire Mirage par l’armée canadienne, ceci semble maintenant être réglé. Alors pourquoi le Canada est-il si timide et silencieux en ce qui concerne les droits d’un de ses citoyens?

Nous connaissons deux autres cas complexes de Canadiens détenus à l’étranger : Husseyin Celil et Bashir Makhtal, détenus respectivement en Chine et en Éthiopie.

Nous devons reconnaître que parler à la Chine de son bilan sur les droits de la personne est délicat. Il convient de rappeler ici que Stephen Harper a nuit à la relation sino-canadienne en ne visitant pas la Chine pendant plusieurs années après être devenu premier ministre. Husseyin Celil a été arrêté en Ouzbékistan en 2006 et envoyé en Chine en raison de ses liens présumés avec le mouvement ouïghour qui demande plus de droits linguistiques et religieux en Chine. Il y a plusieurs années, j’ai rencontré la femme d’Husseyin, son avocat et les membres de sa communauté luttant pour sa libération. Il est regrettable qu’aujourd’hui son cas ne soit ni sur le radar des médias, ni une priorité du gouvernement.

Le cas de Bashir Makhtal est tout aussi troublant. Il a été arrêté en 2006 par les autorités kenyanes et envoyé en Éthiopie où il a été emprisonné pour avoir des liens avec un groupe séparatiste considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement éthiopien. L’ancien ministre des Affaires étrangères, John Baird, a promis qu’il ferait tout en son pouvoir pour le ramener chez lui et il ne l’a pas fait. Nous nous souvenons aussi de ce que Baird a dit à propos de la libération « imminente » du journaliste canadien Mohamed Fahmy, arrêté en Égypte, alors que Fahmy ne fut libéré et ramené au Canada que 8 mois après cette déclaration.

Tous ces cas ont une chose en commun : les familles sont laissées à elles-mêmes. Le résultat dépendra de leur jugement et parfois, franchement, de circonstances « favorables ». Les familles qui sont persévérantes, ont des compétences de plaidoyer, des moyens financiers et de bons conseils juridiques peuvent obtenir justice mais malheureusement, les familles qui n’ont pas de connexions, et aucune compétence en ce qui concerne le contact avec les politiciens et les médias, elles seront très probablement oubliées.

Il est temps pour le Canada d’adopter une stratégie claire, complète et efficace pour aider ses citoyens détenus à l’étranger afin que personne ne soit laissé seul face à l’arbitraire et l’injustice.

Communiqué: Deux organisations canadiennes de défense des droits de la personne exhortent le Canada à se conformer aux recommandations du Comité des Nations unies contre la torture dans le cas d’Omar Khadr

bkg-Khadr-WaterOttawa – En mai 2012, Lawyers’ Rights Watch Canada (LRWC) et la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC) ont fourni un rapport au Comité des Nations unies contre la torture (CAT)—Mémoire au Comité contre la torture, 48e session, mai 2012 sur le cas d’Omar Khadr—identifiant les infractions à la Convention contre la torture commises par le Canada dans le cas du citoyen canadien Omar Khadr.

Après la sixième évaluation de la performance du Canada à l’égard de ses obligations en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UNCAT), le Comité contre la torture, dans ses observations finales publiées le 25 juin 2012, a identifié 18 sujets de préoccupation et recommandations spécifiques afin d’apporter les corrections nécessaires pour que le Canada soit en conformité avec la UNCAT. Plusieurs de ces observations finales reflétaient les mesures correctives identifiées et jugées nécessaires par LRWC/CSILC pour assurer la conformité du Canada avec les obligations de la Convention.

Aujourd’hui, plus de trois ans plus tard et en réponse à une invitation du Comité permanent des fonctionnaires chargés des droits de la personne (CPFDP) du ministère du Patrimoine canadien, LRWC et la CSILC ont fourni au CPFDP un rapport complémentaire décrivant nos recommandations en ce qui concerne les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations du CAT.

LRWC et la CSILC demandent que le gouvernement du Canada, dans sa réponse à la liste des points à traiter (LPT), applique le terme «réparation» comme englobant la gamme complète des obligations de l’article 14 de la Convention, y compris les devoirs d’enquêter pleinement la torture et les mauvais traitements qu’Omar Khadr a subis au cours de son emprisonnement, de punir les responsables, et d’adopter des mesures pour prévenir d’autres incidents, en conformité avec les dispositions de la Convention contre la torture.

La définition de « réparation » montre que le Canada a la responsabilité de fournir une réparation pour la torture et les mauvais traitements subis par Omar Khadr pendant sa période d’emprisonnement aux États-Unis.

LRWC et la CSILC demandent que le gouvernement du Canada fournit au CAT tous les détails des efforts que le Canada a pris ou envisage prendre pour traiter :

  • Des recommandations pertinentes au cas d’Omar Khadr et de la question de la réparation tel que définie par le CAT;
  • De la LPT relativement au cas d’Omar Khadr et aux devoirs du Canada d’assurer la réparation pour la torture et les mauvais traitements qu’a subis Omar Khadr;
  • Des recommandations énoncées dans le mémoire de LRWC/CSILC au CAT et le rapport du LRWC au CPFDP; et
  • Des préoccupations du LRWC et de la CSILC énoncées dans le rapport.

Le Canada a contrevenu à tous les aspects de ses obligations en vertu de la UNCAT dans le cas d’Omar Khadr. Pour remédier à ces importantes contraventions, le Canada doit adopter une loi pour créer un processus par lequel des plaintes peuvent être faites, pour assurer l’enquête sur les plaintes et la détermination et la mise en œuvre de réparation, la poursuite des auteurs présumés et la pleine réparation pour les victimes. Le Canada aura aussi à développer un programme d’évaluation, d’éducation et de formation des fonctionnaires sur leurs devoirs en vertu de la UNCAT, y compris les juges, qui sont chargés de la responsabilité des personnes détenues. Le Canada devrait développer cette législation et ces programmes et politiques en consultation avec les organisations de la société civile ayant une expertise sur cette question.

LRWC et la CSILC demandent d’être impliqués dans la mise en œuvre immédiate des recommandations du Comité.

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Mécanismes de surveillance et d’examen: lequel choisir?

Ralph_goodale_McGuinty.jpg-largePar Monia Mazigh – Le 19 février 2015, quatre anciens Premiers ministres du Canada ont écrit un éditorial dans le Globe and Mail intitulé “A Close Eye on Security Makes Canadians Safer”. Ils exhortaient le gouvernement canadien à mettre en œuvre un régime de responsabilisation qui porterait sur les activités de sécurité nationale du Canada. Voici un extrait de ce qu’ils ont dit:

«Un régime de responsabilisation solide et robuste atténue le risque d’abus, arrête les abus quand ils sont détectés et fournit un mécanisme pour remédier aux abus qui ont eu lieu.»

Bien sûr, à l’époque, l’appel des quatre premiers ministres a été ignoré. La semaine dernière, près d’un an plus tard, nous avons été agréablement surpris d’entendre par l’entremise des médias que le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a déjà commencé à travailler sur la mise en œuvre du premier comité parlementaire sur la sécurité nationale formé de tous les partis en Chambre. Nous avons également appris que David McGuinty, député de longue date d’Ottawa-Sud, aura un rôle de leadership dans ce comité.

Quand il est question des agences de sécurité nationale et de leurs activités, il manque au Canada un mécanisme de surveillance et d’examen solide et intégré.

Dans le vocabulaire de tous les jours, il n’y a pas de distinction entre mécanisme de «surveillance» (oversight) et «d’examen» (review). En réalité, il existe une distinction claire entre les deux et nous aimerions les voir tous deux mis en œuvre au Canada.

Le juge Dennis O’Connor a déclaré ce qui suit dans les recommandations de son rapport : «Pour résumer, un organisme d’examen évalue les activités d’une organisation par rapport aux normes telles que la légalité et la régularité, et fournit des rapports qui contiennent souvent des recommandations aux responsables politiques de l’organisation au sein du gouvernement. En revanche, un organisme de surveillance exerce les mêmes fonctions, mais joue un rôle plus direct dans la gestion de l’organisation.»

Le juge O’Connor estime que le mécanisme d’examen aura une plus grande indépendance par rapport aux activités en cours de révision et aura donc un meilleur et plus grand impact sur la responsabilisation. Il ne croit pas que la surveillance puisse garder la même distance avec les organisations examinées et cela est donc une faiblesse potentielle.

Le Canada est le seul pays parmi les “Five Eyes” sans aucune sorte de processus de surveillance de ses agences de sécurité nationale. Toutefois, le Canada dispose de deux organismes d’examen externes:

  • Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) créé en 1984 pour examiner les activités du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS);
  • Le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications créé en 1996 pour examiner les activités du CST.

Même si ces deux organismes d’examen accomplissent un travail important, leurs fonctions respectives restent menées en silo, avec peu de ressources et d’énormes défis à relever. Dans un monde où les opérations de sécurité nationale sont de plus en plus intégrées, internationales et complexes, nos mécanismes d’examen restent faibles, dispersés et mal adaptés à cette nouvelle réalité.

Aujourd’hui, il existe 17 organismes canadiens participant à l’échange d’information dans le contexte de la sécurité nationale, et seulement trois ont une sorte de mécanisme d’examen : le SCRS, le CST et la GRC dans une moindre mesure. Qu’en est-il des ministères et des organismes tels que la Sécurité publique, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), les Affaires étrangères, etc.? Ils en ont aucun.

Suite à la Commission d’enquête Arar, le juge Dennis O’Connor a établi une liste de recommandations pour la création d’un régime de responsabilisation intégré. Il a favorisé le mécanisme d’examen avec un modèle «super CSARS» qui permettrait d’examiner toutes les activités de toutes les agences impliquées dans la sécurité nationale. Malheureusement, ces recommandations ne furent jamais mises en oeuvre.

Dans la dernière décennie, nous avons été témoins de quatre principales tentatives législatives d’établir un comité de surveillance au sein du Parlement canadien, mais elles ont toutes échoué.

En 2005, le projet de loi C-81 a été présenté par le gouvernement libéral afin d’établir un Comité de sécurité nationale des parlementaires. Il s’agit de la première tentative après «l’affaire Maher Arar» de créer un organisme de surveillance. Ce projet de loi est mort lorsque le Parlement a été dissous le 29 octobre 2005 et des élections générales ont été déclenchées.

En 2013, le projet de loi privé C-551 a été introduit par le député libéral Wayne Easter. Le projet de loi tentait d’établir un comité parlementaire chargé de superviser toutes les activités de sécurité nationale. Le projet de loi s’est arrêté à la première lecture en Chambre. Les projets de loi privés deviennent rarement des lois en particulier sous les gouvernements majoritaires, ce qui était le cas à l’époque.

En 2014, le projet de loi privé C-622 a été introduit par la députée libérale Joyce Murray avec l’intention d’imposer un plus grand contrôle judiciaire et parlementaire sur le CST ainsi que la création d’un Comité parlementaire sur les questions de renseignement et de sécurité. Le projet de loi a été rejeté en deuxième lecture.

Et enfin, en 2014, le projet de loi S-220 a été présenté par le sénateur conservateur Hugh Segal et soutenu par ses collègues libéraux Roméo Dallaire et Grant Mitchell. L’intention du projet de loi était de créer un comité multipartite de parlementaires sur la sécurité nationale et la surveillance du renseignement. Le projet de loi s’est arrêté à la deuxième lecture au Sénat.

Les nouvelles récentes que le Canada envisage de mettre en place un comité parlementaire de surveillance fondé sur le modèle britannique sont prometteuses, mais cela ne suffit pas.

La responsabilisation est essentielle pour de nombreuses raisons. Elle empêche les abus de se produire, Elle permet aux organismes d’apprendre de leurs erreurs passées, elle rend les agences plus efficaces et plus transparentes, mais, surtout, elle redonne confiance au public en ses institutions. Donc, n’oublions pas l’importance et la pertinence des mécanismes d’examen tel que recommandé par le juge O’Connor.

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